
Remontrances, Plaintes et Doléances que font les habitans de la
Paroisse de Moux, pour la partie dépendant de la province du Nivernois,
en Exécution des Ordres de sa Majesté, contenues tant dans ses
lettres données à Versailles, le 24 janvier dernier, que dans
le Règlement y annexé ; et encore en Exécution de l'ordonnance
de M. le Bailly des Baillage et Duchés Paieries de Nivernois et
Donziois rendue en conséquence, le tout signifié par Exploit de
Guillomot en datte du six du présent mois de Mars, pour être remis
à M.M. les Députés dudit Baillage de Nevers, et par eux présentées
à l'assemblée des Etats Généraux Convoquée à Versailles au Vingt
sept Avril prochain.
Les sindic et habitans Niverniste
de la ditte paroisse de Moux, remontrent très humblement.
Que ce qui constitue cette partie
de leur Communauté est composée du hameau appelé la Velle sous
Moux, du petit hameau appelé les Perruchot d'un domaine appelé
la Pommereau, de celuy appelé Montsermage, d'un autre appelé la
Coupe Beaudeau, et de deux petittes habitations nommées les Averts
ou autrement les Gilot.
Ces hameaux et Ecars forment chacun
séparément un petit finage enclavé de toutes parts dans la Province
de Bourgogne, dans la partie vulgairement appelée le Morvant,
pays hérissé de montagnes arides et dont le sol produit à peine
un peu de seigle, avoine, pomme de terre, bled noir ou sarazin,
encore la majeure partie du territoire est-elle absolument stérile
et inculte.
Cette petite partie de la Province
de Nivernois est composée de vingt quatre feux ; et si le rôle
de leurs impositions en comprend un plus grand nombre, c'est parce
que depuis quelques années, l'on a imposé avec eux quelques habitans
de la Province de Bourgogne sous prétexte qu'ils ont des possessions
sur le finage du côté de Chateauchinon.
Malgré ce petit nombre d'habitans
dont la majeure partie est dans une extrême pauvreté, malgré la
stérilité connue du territoire qu'ils habitent, la somme de leurs
impositions royalles, taille, capitation et accessoires remonte
a douze cent cinquante huit livres neuf souls non compris les
vingtièmes, souls pour livres et le role particulier de l'impot
remplaceant la corvée.
Parmis ces habitans il s'en trouve
qui sont imposés à des sommes exhorbitantes, ces impositions portent
sur des malheureux cultivateurs pour autrui dans des domaines
qui ne produisent en grains que la moitié de la subsistance du
cultivateur.
Le nommé Claude Bailly est imposé à Cent Soixante une livres cinq
sols pour taille et Capitation sur un domaine qui vauderoit à
peine Cinq à Six Cent livres d'amodiation.
Le nommé Jean Guénot est imposé à Cent quarente une Livres dix
huit sols, sur un domaine qui vauderoit à peine Cinq cent Livres.
Le nommé Louis Rateau est imposé à Cent trente Livres dix sols
sur un petit domaine pouvant valoir au plus quatre Cent livres
d'amodiation.
Roze Ravier est imposé à soixante deux livres dix sols sur un
petit domaine vallant au plus Cent quarente Livres ; et tous ces
malheureux cultivent à moitié fruits. Enfin, il n'est aucun des
habitans qui ne soit surchargé, il en est, parmi eux qui n'ayant
pour toutes possessions que leurs bras et une mauvaise chaumière,
se trouvent impitoyablement imposés sans aucun égard à leur pauvreté.
La source d'une injustice aussi révoltante
vient de la forme usitée dans la répartition, d'abord elle se
fait par la Commission intermédiaire dans la Ville de Moulins
pour toute la Généralité ; ensuite, renvoyée à chaque election
particulière ; Celle de Chateauchinon d'ou dépend la partie de
Moux fait elle seulle et par le Ministère de ses élus la répartition
de l'impot de chaque paroisse de son arondissement, jamais les
habitans ni sont appelés pour être consultés sur les familles
de chaque contribuable ; quelques créatures choisies et les élus
sont les seuls arbitres de la répartition est il étonnant qu'il
si commette tant d'injustices ?
Le rôle fait est sur le champ envoyé
par un huissier chargé de cette commission a celui des habitans
qu'il lui plait désigner et sans le suffrage des autres habitans,
il se trouve forcé de faire la collecte, qu'il ait ou non les
qualités requises !
Qu'un malheureux soit forcé de donner
sa plainte en surtaux, rarement elle est écoutée ; la protection
et la faveur la rendent presque toujours sans effet, en pourroit-il
en être autrement ! lorsqu'on est obligé de faire passer cette
plainte par les mains d'officiers mercenaires qui mettent au nombre
des émoluments de leurs places qu'ils reçoivent annuellement des
malheureux.
Le premier quartier de la taille
n'est pas plutôt échu, qu'un huissier assisté de Records, vient
faire commandement au collecteur de la part du receveur ; faute
de payement, il lui déclare qu'il sétablit chez lui en garnison
; ce collecteur se trouve forcé de renvoyer cette même garnison
chez celuy des contribuables qui est en retard de payer, la, on
enlève souvent des effets de la première nécessité, quelque fois
même, la vache dont le lait était destiné à la subsistance de
l'enfant encore au berceau, les exécutions ruineuses découragent
le pauvre et regrettant sa propre existance, il est tenté de s'expatrier
pour se soustraire a tant de vexations. Le collecteur de la taille
est-il payé, le l'andemein arrive un autre collecteur porteur
du rôle de vingtièmes, ensuite un autre porteur du rôle des grandes
routes puis après une autre portant un rôle de réparations d'église
et des gages du maitre d'écolle, enfin toujours impots sur impots.
Les droits d'aides sont encore un
impot d'ou découle une source intarissable de concussions et d'abus
en tous genres, ils sont assez connus pour qu'on se dispense d'en
faire ici le détail.
Le privilège exclusif de la vente
du sel et de tabac, est un autre impot infiniment onéreux au peuple,
pourquoi la vante de ces danrées, notamment celle du sel, (objet
de première nécessité), n'est-elle pas générallement permise ?
le sel au lieu de quinze sols la livre, qu'on le vend dans les
campagnes n'en vauderoit au plus que quatre ou cinq, et peut-être
moins. Le prétexte qu'on peut lever du sel a un grenier autre
que celui auquel on est sujet a fait imaginer une loi barbare
par laqu'elle chaque habitan de la Paroisse de Moux et de l'Election
de Chateauchinon est obligé de lever au Grenier de cette ville
une certaine quantité de sel ; si faute de moyens un malheureux
se prive d'une partie du nécessaire a l'entretient de son ménage,
aussitôt il est cité au grenier, ensuite un huissier vient lui
faire commandement de lever ce sel au payement duquel il est contraint
même par corps ; n'est-il pas odieux que ce malheureux manquant
de pain, réduit a ne vivre que de pommes de terre, soit condamné
a ne pouvoir les manger sans sel. Ce n'était pas assez pour la
Régie et ses supôts, d'avoir seule le droit de vendre du tabac,
les profits énormes qu'ils en retiroient, nétoit pas suffisants
pour assouvir leurs ambitions, il leur faloit encore le droit
exclusif de le mettre en poudre avant de le distribuer aux débitans,
ils y sont enfin parvenus et par cette manoeuvre, ils ont la facilité
de débiter ce qu'il leur plait d'associer au tabac, et de vendre
fort chèrement toutes sortes de drogues, jusqu'à l'eau même dont
ils le détrempent.
Les habitans de la ville sous Moux
et des Perruchots de tems immémorial, et peut-être depuis plus
de deux cent ans jouissoient d'une quantité assez considérable
de terres, leurs auteurs les avoient cultivées avec soin et améliorées
par leur travail et les graisses qu'ils y avoient emplotées. Chaque
habitan avoit son cantont distinct et séparé, qu'il avoit toujours
regardé comme son patrimoine sans y avoir jamais éprouvé aucun
trouble. Le Seigneur du Comté de Chateauchinon faisant procéder
à la rénovation de son Terrier, le commissaire chargé de cette
opération, prétendit que ces terres appartenaient au Seigneur,
et déclara aux habitans l'intention qu'il avait de s'en emparer
; il employa tous les moyens possibles pour engager les vassaux
à faire l'acquisition de ces terres, mais il ne put rien gagner
sur leur esprit ; voyant que les démarches étaient infructueuses,
il vendit par acte passé devant notaire toutes lesdites terres
à des personnes étrangères a cette Seigneurie leur donnant, contre
vérité, la qualité de terres vaines et vagues. D'après cet acte
les acquéreurs assignèrent en désistance les possesseurs, et pour
se redimer d'un procès dans le quel le crédit et l'autorité du
Seigneur les eu peut être fait succomber, ils transigèrent avec
les acquéreurs en présence du Seigneur même, et furent forcés
de racheter leurs propres biens, fruits de leurs traveaux et celuy
de leurs pères. Le Seigneur a fait plus, il a a grands frais,
fait passer Reconnoisse a son terrier par tous les possesseurs
d'héritages situés dans sa directe ; il les a contraints au payement
de trente six années de redevances soit en argent, soit en quittance,
plusieurs d'entre eux avoient négligés de conserver leurs quittances
Ceux qui lui avoient a représenter n'étoient que des ; (Renvoi
approuvé). acompte ; parce que les agens du Seigneur avoient toujours
eû l'attention de n'en donner que de cette manière ; en sorte
que tant le Seigneur que son Commissaire ont retirés de la Paroisse
de Moux, au moins dix a douze mille Livres tant pour recouvrement
de droits seigneuriaux, que par la vente des terres dont on vient
de parler.
Dans le nombre des reconnaissances
arrachées de force et a grans frais pour le Seigneur de Chateauchinon
plusieurs portent encore le caractère odieux de la servitude ;
certains héritages sont grevés d'une redevance bordelière, la
qu'elle est d'autant plus onéreuse, que outre qu'elle porte trois
espèces de redevances annuelle, c'est que ces mêmes héritages
sont encore echulte au profit du Seigneur par le défaut du payement
exact des redevances ou par le décès du propriétaire sans enfans
; le Seigneur de Chateauchinon eüt-il deu se prévaloir d'un droit
semblable, surtout d'après l'exemple qu'en a donné Sa Majesté
dans son Edit... par lequel il a affranchi de la servitude de
mainmorte toutes les personnes et biens des sujes de ses Terres.
C'est a regret que les habitans de
la Paroisse de Moux exposent au grand jour leurs plaintes et doléances
particulières, mais l'ordre expres de sa Majesté leur en fait
un devoir, s'ils rompent aujourdhuy le silence sur les abus sans
nombre résultant du pouvoir des administrateurs du Crédit et de
l'autorité des Seigneurs, c'est dans l'espérance que les loix
sages qui seront établies aux Etats Généraux les metteront a couvert
de la tirannie que les uns et les autres ont jusqu'ici exercée
particulièrement sur les habitans des campagnes qui réduits a
une obéissance servile ne pouvoient que gemir en secret sur leur
malheureux sort par la crainte d'un plus grand malheur encore,
s'ils eussent osés se plaindre. Il ne nous appartient pas d'indiquer
à l'élite de la nation assemblée les moyens de remédier aux abus,
d'établir une ordre fixe et durable dans toutes les parties de
l'administration, et d'aviser aux moyens de pourvoir aux besoins
de l'Etat ; ces opérations exigent beaucoup de lumière et de sagesse
, c'est pourquoi nous prions de ce soin les personnes qui réunissent
a ces qualités une ame vraiment patriotique ; mettant toute notre
confiance dans la bonté et dans la justice de notre Souverain,
éclairées par les membres de l'assemblée la plus respectable nous
attendons avec respect, les décisions que lui suggéreront sa sagesse
et son amour pour son peuple, persuadés que nous sommes que les
trois ordres de l'Etat concoureront également a tout ce qui sera
accordé.
Fait et arrêté dans l'assemblée des
habitans de la paroisse de Moux, tenue a lissue des vespres de
laditte paroisse cejourdhuy huit mars mil sept cent quatrevingt
neuf, rédigé par le soussigné, notaire Royal de la Résidence dudit
Moux sur les réquisitions des habitans dénommés dans l'acte d'assemblée
de ce jour, en foi de quoi je me suis soussigné avec lesdits Leger
Pelletier, Lazare Lavesvre et Jean Marchand, tous les autres habitans
déclarent ne savoir signer de ce enquis. Légé Pelletier, L. Lai,...
J. Marchand, Collenot no.re et scribe.
Depuis la rédaction du présent cayer,
les habitans ont apris par la voie publique que l'assemblée de
la province du nivernois avait été tenue a Saint Pierre Le Moutier
au lieu de Nevers, que les paroisses voisines de Moux ont reçu
l'ordonnance de Monsieur le Lieutenant Général du Baillage dudit
St pierre Le Moutier avec assignation de paroitre par leurs députés
dans ladite ville a l'assemblée convoquée au lundi seize de ce
mois. Cette ordonnance ne leur étant point parvenue et n'ayant
pas été assignés en d'icelle, ils espèrent que dans le cas ou
l'assemblée n'auroit pas lieu dans la ville de Nevers, et qu'au
contraire elle serait tenue dans celle de St pierre Le Moutier,
Messieurs les Députés voudront bien se charger du présent cayer
pour être présenté aux Etats Généraux.
Collenot, Nre et scribe.