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L'histoire de St Martin de la Mer,
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St Martin de la Mer
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Le MORVAND ou essai géographique, topographique et historique sur cette contrée,
par Jean-François BAUDIAU, curé de Dun-les-Places, membre de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts, et de plusieurs autres sociétés savantes. Nevers 1867

 

- Chute de l'Empire, invasion.

Tout le monde connaît les désastres qui amenèrent la chute de l'Empire. L'affreuse déroute de Russie avait anéanti, en 1812, la plus belle armée du monde. L'année suivante, une autre armée de cinq cent mille hommes était écrasée successivement en Allemagne par l'Europe coalisée, et Napoléon, l'âme navrée de douleur, repassait, le 3 novembre 1813, le Rhin pour la dernière fois.

Arrivé à Paris, son premier soin fut de convoquer les grands corps de l'État. " D'éclatantes victoires, leur dit-il, ont illustré les armées françaises dans cette campagne ; mais des défections sans exemple ont rendu ces victoires inutiles. Tout a tourné contre nous. La France même serait en danger sans l'énergie et l'union des Français. "

Le danger n'était que trop réel. La grande armée de la Sainte-Alliance passait, le, 21 décembre, le Rhin sur les ponts de Bâle, de Schaffouse et de Lauffenbourg, d'un côté, entre Coblentz et Manheim de l’autre, et envahissait la France. Les glorieuses journées de Montmirail, de Champaubert, de Vauxchamps et de Vertus ne firent que retarder la marche des alliés sur la capitale. Néanmoins elles inspirèrent de la confiance à la nation. On vit alors, malgré la proclamation de Schwarzemberg menaçant les paysans de la potence, s'ils étaient pris les armes à la main se former en Alsace, en Lorraine, en Franche-Comté et dans le Morvand, des corps de partisans pour harceler l'ennemi et le tenir en échec.

- Le camp des Latois.

Au commencement de février 1814, le maire d'Alligny, Laurent Primard, manifesta au sous-préfet de Château-Chinon le désir de se mettre à la tète de ses administrés et d'établir un corps d'observation sur la route de Saulieu à Autun. Ce projet généreux n'obtint pas les sympathies de cet administrateur; car il écrivait au préfet : " Cette intention est très dangereuse par les mouvements irréguliers d'une bande indisciplinée, qui peut fixer l'attention de l'ennemi sur nos communes et attirer sur cet arrondissement, trop heureux jusqu'à présent d'être resté intact, toutes les horreurs de la guerre. [Correspondance du sous-préfet, tome X 17,928]

Le maire, ajoute Le Payen de Vigneul, est peut-être ce qu'il y a de mieux ; mais c'est un homme allant à la journée et qui n'a pas cinquante francs de revenu foncier. Doux et honnête, il est entraîné, comme un jeune homme, doué de bonnes vues, mais sans expérience, par un tas de ses administrés, dont une grande partie ne jouit pas de la meilleure réputation. "

Cependant le maire d'Alligny, suivant son ardeur patriotique, que le sous-préfet n'osait pas blâmer ouvertement, et guidé, par le curé [Pierre-Claude-André Rasse], dont il avait épousé la nièce, ramasse ses gens et va se poster avec eux à la jonction des départements de la Nièvre, de la Côte-d'Or et de Saône-et-Loire, au lieu dit les Latois, Latebrae, nom qui exprime assez bien l'aspect de la localité.

- Arrestation de l'estafette Franz Meuzel.

Le 5 mars, un détachement de cinq cents Autrichiens, dont cent cavaliers, traversait Saulieu, se rendant à Autun, où il entrait le soir. Nos Morvandeaux n'eurent garde de l'inquiéter ; mais, dans la nuit, revint un caporal étranger, nommé Franz Meuzel, dans une voiture courant la poste. Il portait des dépêches au prince de Lichsteinten, resté à Montbard. Aussitôt les hommes du poste s'élancent, saisissent le cheval et font l'estafette prisonnière. Ils la fouillèrent et la trouvèrent munie de trois lettres, en langue allemande, que le percepteur Rasse porta à Saulieu, afin d'en connaître le contenu. [ Sous-préfecture de Chàteau-Chinon, correspondance du sous-préfet, 1814, tome X, n° 17,927.] Elles annonçaient, entre autres, que, de Saulieu à Autun, il y avait deux routes, l'une passant par Arnay-le-Duc plus sûre, mais beaucoup plus longue ; l'autre par Lucenay-l'Evêque, plus courte, mais très dangereuse, à cause des bois qu'elle traverse et des défilés qu'on y rencontre, surtout entre la Pierre-Écrite et Chissey ; qu'une poignée d'hommes, embusquée là, suffirait pour arrêter une armée entière.

Meuzel fut conduit, le 7, escorté d'un piquet de gardes nationaux d'Alligny, à Château-Chinon, où il fut écroué. Le sous-préfet l'annonça à son supérieur en ces termes : " Le caporal autrichien était dans une voiture courant la poste. On a saisi ses papiers, son argent, ses armes, sur un grand chemin, au milieu de la nuit, parce qu'on était soixante contre un ! Qui nous dira que bientôt on n'arrêtera pas les voyageurs français, les diligences... et qu'on ne pillera pas tout ce qui se trouvera sous la main ? C'est une bande d'hommes, la plupart braconniers, voleurs de bois, voleurs de bestiaux entre eux... , contenus peut-être un instant par le maire qui, pour cette fois, était avec eux, mais qui n'a rien du caractère nécessaire pour retenir de pareils gens. Aujourd'hui ils n'auront fait que ce qu'il fallait ; demain, ils s'épancheront dans les campagnes, et, n'étant nullement organisés, ils nous reproduiront le tableau des hauts faits des Vandales, des Huns ; au moins faudrait-il un chef, fut-il un Attila, qui répondit de leur conduite ! Au même instant où toute cette horde est en marche, à côté d'elle, devant, derrière, sont des détachements ennemis, infanterie, cavalerie, qui peuvent tout-à-coup tomber sur elle, brûler, saccager les maisons des habitants, violer leurs femmes ! De proche en proche, j'aperçois déjà l'incendie qui nous gaigne ! Et cependant, dans ma réponse au maire, je n'ose pas toucher cette corde délicate ! Tout est de bonne prise sur l'ennemi. " [Correspondance du sous-préfet, tome. X, n° 17,927.]

Le bon sous-préfet était loin d'être brave. Il tremblait à la pensée de l'étranger il n'osait parler ouvertement à son subordonné!

Le lendemain cet administrateur se transporta à la prison et procéda à l'interrogatoire du soldat détenu. L'Autrichien avait refusé de répondre un seul mot aux gens d'Alligny et à ses conducteurs, bien qu'il entendit et parlât assez correctement le français. " Entre Chissey et la Pierre-Écrite, dit-il, j'ai été arrêté, à la pointe du jour, par un grand nombre de paysans, qui étaient plus ou moins bien armés, une partie avec des fusils, que j'estime avoir été cent. Ils m'ont fait descendre de voiture, ajoute-t-il, ils m'ont fouillé, déshabillé de la tète aux pieds..., m'ont pris mes dépêches, consistant en trois lettres à l'adresse du prince de Lichsteinten, une paire de pistolets d'arçon, mes cartouches, mon sabre, mon casque, deux mouchoirs, un gilet, et cent vingt francs en argent, partie en pièces de cinq francs, partie en écus de Russie et d'Autriche. Les conducteurs, au contraire, soutenaient ne lui avoir pris que dix francs. Il assure, écrivait le sous-préfet, avoir été terrassé, lors de sa capture, et avoir reçu beaucoup d'avanies. Il se plaint particulièrement d'avoir été renversé, en chemin, par son escorte, fouillé in extremis et dit que les troupes, actuellement à Autun, sont au nombre de trois mille. On connaît, dans cette ville, l'arrestation de Meuzel et sa translation ici. Les autorités locales, les habitants, tout le monde s'inquiète du résultat; on aurait voulu que le prisonnier fût relâché. "

Il rapporte ensuite un fait semblable, arrivé à Joigny, et qui attira des maux sur la ville. " Les habitants de Château-Chinon, poursuit-il, craignent, avec raison, que l'ennemi, se portant en force à Alligny, se replie sur cette ville et qu'il lui en mésarrive. " [Correspondance du sous-préfet, 17,930]

Le 8, un détachement de trois cents cavaliers autrichiens traversa Saulieu pour se rendre à Autun. Arrivés aux Latois, ils trouvèrent la route couverte de gens armés, qui leur fermèrent le passage ; mais ils se jetèrent dans la traverse et purent ainsi continuer leur route.

Bientôt le tocsin se fait entendre dans toutes les communes environnantes, et les campagnards, armés de fusils, de faux et de piques, se portent aux Latois. Quinze cents à deux mille hommes s'y trouvent réunis sous le commandement du percepteur Rasse, auquel s'adjoignirent bientôt Collenot, capitaine de la garde nationale de Moux, et Hubinet, colonel de celle de Chissey.

" Les campagnes, écrivait le sous-préfet, se donnent la main, particulièrement dans Saône-et-Loire; dans les mêmes vues, plusieurs communes de l'arrondissement de Château-Chinon se trouvent entraînées à les imiter. Elles sonnent le tocsin. Cela peut produire un effet pour déjouer les projets de l'ennemi, tant qu'il ne sera pas en force ; mais à quels malheurs devrait s'attendre l'habitant des campagnes, si l'ennemi se trouve en nombre suffisant. Il doit être permis à un administrateur qui, comme moi, a toujours servi de père à ses administrés, de concevoir des craintes d'une conduite irréfléchie, tenue par des bandes d'hommes se jetant au hasard où ils croient produire de l'effet, mais sans être dirigées par aucun commandant habile et sage.

Cependant M. B..., maître de poste à la Pierre-Écrite, par crainte d'être saccagé, avait consenti à faire parvenir à Semur et à Montbard deux dépêches autrichiennes. Cette condescendance attira sur sa maison la colère des partisans, qui la mirent à contribution et lui auraient fait à lui-même un mauvais parti, s'il n'avait fui inaperçu. " Les habitants de la commune, écrivait le maire d'Alligny, et ceux des communes environnantes, sont indignés de cette conduite. J'ai fait tous mes efforts pour retenir le peuple, mais je n'en réponds plus, les esprits sont montés au plus haut point. Que puis-je faire, d'ailleurs, pour ce particulier, qui n'a pas craint de me dénoncer à l'ennemi et qui a dit ouvertement que sil passait près de nous, il le dirigerait sur moi et sur d'autres, qui ont montré autant d'enthousiasme que de bravoure ? A l'instant, ajoute-t-il, les habitants sous les armes, et revenant de la route, me rapportent que la force armée des communes voisines, et faisant le même service que nous sur le chemin, s'est portée chez B... et l'a fait contribuer en pain, en vin et autres denrées. Des portes ont été enfoncées, des croisées brisées. Heureusement que les gens de la commune n'y ont participé en rien. " [Correspondance. du sous-préfet, 17,930]

- Attaque du château de Lucenay-l'Évêque

Jusque-là, le camp n'avait rien entrepris de sérieux ; mais alors il fut informé que trente cavaliers ennemis se trouvaient au château de Lucenay-l'Evêque. L'occasion était favorable pour signaler son zèle contre les envahisseurs de la patrie et jeter la terreur parmi les ennemis. L'attaque fut résolue. Nos Morvandeaux se divisent en deux bandes, ayant à leur tète Collenot et Rasse. La première arriva, sans donner l'éveil, jusque sous les murs du château. La seconde, entravée dans sa marche par les habitants de Lucenay, qui redoutaient, pour leur bourg, les conséquences de ce coup de main, fut le salut des Autrichiens ; ils s'enfuirent par une porte mal gardée, et en furent quittes, malgré deux décharges consécutives, pour un homme tué et quelques chevaux blessés.

Ce premier succès, quoique faible, produisit l'effet qu'on en attendait. Le camp grandit en renommée et les montagnards s'y rendirent en foule. On y vit arriver trente gardes forestiers, bien armés, envoyés par Brochot, inspecteur des forêts.

- Hubinet au pont de Souvert

Cependant Hubinet, renfermé dans son château de Chissey, avec des gens déterminés, attendait l'occasion de frapper un coup. Elle se présenta bientôt. Il avait été dénoncé au commandant des forces alliées, à Autun, qui pensait le surprendre avec tous ses partisans. Le général autrichien envoya donc, de nuit, deux à trois cents cavaliers contre lui. Mais Hubinet, ayant été prévenu par Desbois, aubergiste à Lucenay, venu à Chissey à course de cheval, s'avança avec ses gens jusqu'au pont de Souvert, où il les embusqua. La nuit était profonde. Quand le détachement ennemi fut entièrement passé, il commanda une décharge générale, qui abattit plusieurs hommes et un plus grand nombre de chevaux. Les étrangers, n'osant repasser sur le pont, se jetèrent à droite et à gauche de la route et furent poursuivis par les paysans, qui en firent un carnage, de manière qu'il n'en rentra que quelques-uns à Autun.

Cette seconde affaire répandit une sorte de stupeur parmi les alliés. Ils résolurent aussitôt de former un camp d'observation de 40,000 hommes aux environs d'Autun.

Le 15 mars, le sous-préfet, en vertu d'ordres supérieurs, écrivit au maire d'Alligny pour une levée en masse des habitants, et nomma Dutout, brigadier à Montsauche, pour les commander. " Le choix qui est fait de vous, lui disait-il, d'après les bons rapports de votre lieutenant, vous est honorable, puisqu'il est fondé sur l'estime de vos chefs. Vous en userez avec courage et avec prudence. " [Correspond. du 17,949 et 17,950].

- Le chambellan de Forbin-Janson

Cependant l'Empereur, informé de ce qui se passait en Morvand, ordonna à son chambellan, de Forbin-Janson, de se rendre au camp des Latois et d'en prendre le commandement avec le titre de colonel. Il se trouva donc, le 19 mars, avec son état major, à Château-Chinon, d'où il se dirigea sur Alligny et alla loger au presbytère, qui devint son quartier général. Le 21 le maire reçut l'ordre de se soumettre au chambellan de l'Empereur pour la direction des forces locales et pour la défense du pays, tandis que les communes étaient invitées à fournir des vivres pour les hommes et des fourrages pour les chevaux. [ Correspond. Du sous-préfet, 17,965, 17,968, 17,972.] Le lendemain, Hubinet réunit ses forces à celles de Forbin-Janson, qui se trouva ainsi seul chargé du commandement général. [Ibid., 17,987. Pendant les jours que Forbin-Janson passa à Alligny, il fut parrain d'un enfant de la paroisse.]

Le colonel se mit aussitôt en communication avec les maires des communes, stimula leur zèle patriotique et prescrivit des levées en masse, afin de se porter sur Autun et d'empêcher la livraison de contributions énormes, imposées par les ennemis. Après avoir arrêté des troupeaux de bœufs, que l'on conduisait au camp des Chaises, il voulut tenter un coup de main sur le camp lui-même et s'emparer de quelques pièces de canon. Il choisit donc, pour cette tentative hardie, quatre à cinq cents des plus braves de ses partisans, s'avance en silence avec eux et pénètre dans le camp, au milieu de la nuit. Mais l'alarme ayant été donnée, il se vit bientôt enveloppé par quatre mille Autrichiens et forcé de chercher son salut dans la fuite. " Mes amis, s'écrie-t-il alors, nous sommes cernés; du sang-froid et du courage. Suivez-moi ! " Puis il commande un feu de peloton, qui force l'ennemi à ouvrir un passage. La petite troupe gagna, à travers bois, le château de Montieu. De là, de Forbin-Janson se rendit à Château-Chinon, où il trouva onze caisses d'armes avec des détachements d'hommes et de chevaux, qui lui étaient destinés; mais il apprit bientôt la capitulation de Paris et l'abdication de Fontainebleau. Dès lors il licencia ses hommes pour se retirer dans ses foyers. Tout était terminé.

- Abdication de l'Empereur, départ pour l'île d'Elbe, son retour en France.

Quinze jours après, l'Empereur partait pour l'île d'Elbe, qui lui avait été donnée en toute souveraineté avec deux millions de revenu. Un empire de vingt-cinq à trente lieues de tour, et qui ne renfermait pas plus de treize mille sujets, ne pouvait satisfaire le héros, qui avait dicté des lois à l'Europe presque entière. Aussi, quittait-il secrètement cette île, le 27 février de l'année suivante, pour venir en France reconquérir le trône brillant dont il était descendu. Dans sa course rapide et, triomphante, des bords de la Méditerranée à la capitale, Napoléon traversa le nord-est du Morvand, où il reçut, comme nous l'avons vu, des témoignages de la plus vive sympathie de la part des habitants de la contrée, et se reposa quelques instants au château de Chissey. Mais la fortune, qui l'avait élevé si haut, et qui parut lui sourire encore un moment, l'abandonna enfin pour toujours. La bataille de Waterloo, perdue le 18 juin 1815, fuit la consommation de la ruine du puissant empire qu'il avait fondé au prix de tant de victoires et de tant de sang répandu. Une seconde invasion s'ensuivit.

- Nouvelle invasion.

De nouveau maîtresses de la France, les armées étrangères se répandirent dans les provinces de la rive droite de la Loire, et le Morvand fut parcouru en tous sens. Bien qu'elles n'y aient séjourné que peu de temps, le pays en fut grevé et s'en ressentit douloureusement. À Bazoches, par exemple, on estime, à vue de pièces, que le montant des fournitures faites en ce lieu et dans les environs, s'éleva à 22,239 fr. Les habitants des campagnes, effrayés, s'enfuirent à leur approche et coururent se cacher, avec leurs troupeaux, au fond des bois; à peine quelques villageois, plus intrépides, se hasardèrent-ils à rester au hameau, devenu désert et silencieux.

Dans ces graves circonstances, la petite ville de Luzy fut occupée par un corps d'armée de trois mille hommes de pied et de six mille chevaux, sous le commandement du comte de Franqmont, officier général au service du roi de Wurtemberg. Une ville de si peu d'importance ne pouvant loger tant de monde, les Wurtembergeois furent forcés de se jeter dans la banlieue et même de former un camp dans la prairie voisine.

Il arriva, dans l'intervalle de leur séjour, que le feu prit, au milieu de la nuit, dans un magasin de fourrages et menaça la ville d'un embrasement général. Aussitôt le lugubre tocsin retentit an beffroi et appelle les habitants à la défense de leurs foyers en péril. Dans un instant, toute la population est sur pied. On accourt incontinent de tous les coins de la ville, on se mêle, on se heurte, et il s'ensuit un bruit confus et extraordinaire.

Tandis que ceci se passait en ville, le camp, de son côté, entrait dans l'agitation et le trouble. On avait cru à un soulèvement du pays. Les soldats, à la voix des chefs, étaient accourus aux armes, et des courriers avaient été expédiés, en toute hâte, aux divers détachements cantonnés dans les environs. Mais la cause du mouvement ayant été bientôt comme, le camp rentra dans le calme, et, de part et d'autre, on en fut quitte pour la peur et un sommeil troublé.

A leur passage à Alligny, les alliés, qui s'y étaient réunis en force, à cause de la réputation de bonapartisme que le camp des Latois avait faite au pays, en traitèrent assez durement les habitants. On s'attendait même au pillage et à l'incendie; néanmoins, tout se borna aux menaces et à la crainte, si ce n'est à l'égard du curé, homme bon et généreux, mais connu par ses opinions politiques, qui lui avaient valu, dans les Cent-Jours, la décoration de la Légion-d'Honneur. [Il reçut la croix des mains de l'Empereur lui-même, à Chissey.]

- Le curé et le gendarme.

Plusieurs officiers de l'état-major ayant pris leur logement au presbytère, traitèrent d'abord leur hôte avec toutes sortes d'égards et de bienveillance. Mais devenu bientôt l'objet de la surveillance la plus rigoureuse, le curé comprit que des délations avaient été faites contre lui. En effet, il avait été accusé, outre ses opinions politiques, d'avoir reçu chez lui les chefs du camp des Latois, de s'être entendu avec eux sur les mesures à prendre, et même d'avoir laissé fondre, dans son propre foyer, des balles pour cette destination.

Le jour du départ arrivé, sa maison fut dévastée, son mobilier chargé sur des chariots, et lui-même emmené prisonnier à la suite de l'armée. A quel sort dut-il dès lors s'attendre ? Les tristes pensées qui agitèrent son âme et le blanchirent pendant la première nuit qu'il passa à Autun, montrent assez qu'il sentait toute la gravité de sa position. Heureusement pour lui, ses supérieurs, prévenus à temps, étaient accourus et l'avaient réclamé auprès des chefs. Ceux-ci, sur leurs instantes sollicitations, consentirent enfin à le leur remettre, sous la condition d'une grave correction, qui fut laissée à leur choix.

Ce n'était pas la première fois que le bon curé avait vu sa tète menacée. Déjà prêtre en 1789, il avait dû, pendant la terreur, pour éviter la hache révolutionnaire, quitter le costume ecclésiastique et revêtir l'uniforme de soldat. Gendarme à Arnay-le-Duc, sa nouvelle profession l'obligea, quelquefois, à poursuivre, en vertu d'ordres barbares, ses confrères dans le sacerdoce, métier pénible pour lui sans doute, et presque aussi terrible que la mort.

Il lui arriva donc, un jour, d'être envoyé, sur une dénonciation, avec un de ses nouveaux collègues, pour arrêter un prêtre, un de ceux qu'on nommait alors réfractaires. Mais que faire dans cette funeste occurrence ? Se saisir de l'innocente victime pour l'envoyer au supplice, cela répugnait à son cœur d'homme et encore plus à sa conscience de prêtre ; la laisser publiquement s'échapper, c'était se dévouer lui-même à une mort certaine ! Telles étaient les pensées que, chemin faisant, il roulait dans son âme.

Cependant nos deux gendarmes approchaient de la maison qui avait donné asile au vertueux prêtre ; déjà ils étaient près d'arriver, lorsque s'adressant tout-à-coup à son compagnon d'armes : " Camarade, lui dit-il, il ne faut pas que le gibier nous échappe, cernons la maison " et tandis que le satellite dévoué aux ordres de Robespierre, se postait d'un côté, lui accourait lestement par la porte opposée. Le misérable dénonciateur avait dit vrai ; le prêtre fidèle était là, payant une dette sacrée; il récitait son bréviaire.

A la vue du redoutable uniforme, l'ecclésiastique frissonne, le livre lui échappe des mains. " Sauve, sauve, lui dit alors une voix amie, sauve bien vite ; sous ce costume qui t'effraie, reconnais un confrère, un ami ; néanmoins, sauve-toi bien vite, car je ne suis pas seul " et le prêtre, stupéfait, s'échappait rapidement, et le gendarme, grommelant de ce que, disait-il, on les avait trompés, rejoignait son collègue qui ne soupçonna pas la pieuse fraude. [Ces faits nous ont été racontés par le héros lui-même.]

- Famine.

L'année qui suivit le départ des alliés, fut une époque bien cruelle pour la France. La présence de tant d'étrangers, qu'il fallut nourrir et payer, l'avait épuisée. Les récoltes, que des pluies continuelles avaient gâtées, produisirent peu et mûrirent fort mal. Aussi, une disette terrible et dont le Morvand, en particulier, souffrit beaucoup, se manifesta bientôt. Au printemps de l'année 1817, le blé devint si rare, qu'il coûtait 12 ou 13 fr. la mesure ; le pain se payait jusqu'à 60 c. le demi-kilogramme chez les boulangers ; les pommes de terre se vendaient 16 à 18 fr. les deux hectolitres ; le vin valait 1 fr. la bouteille.

La plupart de nos Morvandeaux se ruinèrent pour se procurer quelque peu de mauvais pain. Beaucoup n'en mangèrent pas depuis le commencement du printemps jusqu'à la moisson, qui heureusement fut précoce et abondante. On se nourrit, dans les campagnes, d'herbes sauvages, cueillies dans les prés, de racines arrachées dans les forêts, et d'autres végétaux aussi malsains que dégoûtants. On rencontrait, çà et là, des personnes pâles, livides, exténuées de besoin, et même tombant de faiblesse le long des chemins. L'enfant, à la mamelle, demandait en vain au sein maternel une nourriture que les privations avaient tarie; son aîné réclamait-il du pain, il ne recevait, le plus souvent, que de brûlantes larmes, dont une mère désolée inondait son visage Et pourtant on ne murmurait point, on n'accusait personne on se résignait. Nos mœurs ont bien changé ! Le peuple des campagnes a toujours désigné cette funeste époque sous le nom de mauvaise année.

- Une bande de voleurs.

Dans ces tristes circonstances, une bande de dix-sept voleurs, poussés par la passion du mal autant que par le besoin, forma une horrible société, qui porta la crainte et l'effroi dans la partie sud de notre contrée. Ces misérables, réunis des communes de Préporché, de La Roche-Milay, de Sémelay et de Villapourcon, se livrèrent à divers excès; ils attaquèrent, entre autres, le château de Bouton, près Verrières-sous-GIaine, où l'un d'eux trouva la mort devant la résistance énergique du propriétaire. Une autre bande, composée de huit malfaiteurs, ourdit, en revenant d'une foire de Château-Chinon, l'abominable complot d'assassiner un pauvre meunier de Villapourcon, avec toute sa famille, pour enlever l'argent qu'il possédait. Ce projet fut exécuté, en partie, avec les horribles circonstances que nous rapporterons ailleurs. Ces brigands étaient vulgairement nommés chauffeurs, à cause de la barbarie avec laquelle ils brûlaient les membres de leurs victimes, pour les forcer à déclarer où était leur argent.

Arrêtés par suite de cet affreux assassinat, ces derniers furent traduits devant la cour prévôtale de la Nièvre, et condamnés au supplice capital, qu'ils subirent à Château-Chinon Le terrible instrument de la justice humaine fut dressé sur la principale place de la ville, où sept d'entre eux furent exécutés en présence d'une foule immense de personnes, que la nouveauté du spectacle avait attirées. Le gouvernement, en punissant ces grands coupables dans les lieux qui avaient été témoins de leur crime, voulut donner, par là, un exemple salutaire à notre population et la détourner à jamais de pareils attentats.

- La Restauration.

Les années qui suivirent furent une époque de prospérité et de bonheur pour le Morvand, comme pour toute la France. Les guerres continuelles qui, pendant plus de vingt ans, ensanglantèrent le sol de l'Europe et arrachèrent tant de bras à l'agriculture, avaient entièrement cessé. Nos Morvandeaux s'occupaient activement de la culture de leurs champs, tandis qu'un gouvernement doux et paternel faisait fleurir le commerce et l'industrie. Aussi, le règne de Louis XVIII, qui finit par la mort de ce prince, le 16 septembre 1824, laissa de précieux souvenirs parmi eux. " C'était un bon roi, celui-là " répètent-ils encore ; mais leur extrême crédulité, exploitée en 1830, leur a imprimé un tout autre sentiment sur son successeur, comme nous le dirons bientôt.

Par suite du concordat de 1801, le Morvand tout entier, si ce n'est la partie comprise dans le département de l'Yonne, qui fut unie au diocèse de Troyes, était repassé sous la juridiction des évêques d'Autun. Mais les antiques sièges de Nevers et de Sens ayant été rétablis en vertu d'un nouveau concordat, conclu le 11 juin 1817, entre le roi de France et le souverain pontife, la partie comprise dans le département de la Nièvre fut attribuée, en 1822, au diocèse de Nevers; celle renfermée dans le département de l'Yonne, à celui de Sens. Les nouveaux prélats, après les soins donnés aux affaires les plus urgentes, s'empressèrent de visiter leurs diocésains du Morvand. Partout les populations montrèrent le zèle le plus ardent, et accoururent, en foule, sur leurs pas. Mais nulle part peut-être l'affluence ne fut aussi grande qu'à Ouroux, à Montsauche, à Alligny, où Mgr Millaux, évêque de Nevers, administra, au mois de septembre 1825, le sacrement de Confirmation. De mémoire d'homme ces paroisses n'avaient reçu de visite épiscopale; aussi l'élan fut-il général. Le nombre des fidèles fut si grand, que le prélat se vit contraint, à cause de l'insuffisance des églises, de confirmer sur les cimetières et les places publiques. Le jubilé séculaire, qui se célébra, deux ans plus tard, fut aussi une époque d'enthousiasme religieux pour le Morvand. La foi et la piété, que nos bouleversements politiques avaient tant affaiblies, se ranimèrent alors dans les cœurs.

- Révolution de juillet 1830.

La révolution du mois de juillet 1830, qui renversa le trône de Charles X, trouva de nombreux partisans parmi nos Morvandeaux. On répandit alors le bruit que ce prince voulait rendre les dîmes au clergé, rétablir les corvées, et même faire manger de l'herbe ait peuple. C'en était assez pour qu'ils applaudissent à la chute du monarque régnant et de sa dynastie, et pour rendre populaire l'avènement de la branche d'Orléans. En effet, rien n'effraie autant nos bons compatriotes que la pensée du rétablissement de la dîme ecclésiastique; c'est pour eux un véritable cauchemar. Aussi, à la faveur de cet épouvantail puéril, on leur fera croire les choses les plus ridicules et les plus absurdes. Cela se comprend, en quelque sorte, de la part d'une population généralement pauvre, et qui, d'ailleurs, accorde beaucoup à la crédulité et peu au raisonnement.

Le règne de Louis-Philippe, qu'on a nommé, à juste titre, le gouvernement d'argent et du bien-être matériel, a été, nous devons le reconnaître, très favorable, sous ce rapport, au Morvand, jusque-là si abandonné. C'est pendant les dix-huit années qu'il dura, que furent jetés sur les rivières et les torrents ces ponts nombreux, que nous remarquons dans nos montagnes, et que furent exécutées ces routes magnifiques qui les parcourent en tous sens. L'agriculture, de son côté, fut encouragée et fit des progrès notables. L'instruction fut aussi propagée mais, malheureusement, l'éducation n'ayant pas marché de front, il s'ensuivit, ici, comme dans le reste de la France, une désorganisation funeste dans les idées et dans les principes religieux, tellement que nous reconnaissons à peine aujourd'hui le Morvand d'autrefois. Mais suivons l'ordre des événements.

En 1832, le samedi 28 juillet, un effroyable incendie consuma, en moins de deux heures, le village de Planchez et en fit un monceau de décombres. Soixante-sept familles furent réduites à une extrême détresse, sans vêtements, sans pain, sans asile. A cette triste nouvelle, les cœurs s'émurent, et la compassion, naturelle aux Morvandeaux, produisit des merveilles. De toutes parts, des quêtes s'organisèrent, d'abondantes aumônes furent recueillies, et le désastre fut promptement réparé. Cette année-là, un léger tremblement de terre agita tout le Morvand. Déjà, cinquante ans auparavant, on avait ressenti une semblable secousse.

Rien n'est plus nuisible à notre contrée qu'une longue sécheresse. Le sol, par suite de sa nature arénacée et de sa position presque partout très inclinée, s'égoutte rapidement. Il a besoin, par conséquent, d'être fréquemment arrosé. En 1834, une température extrêmement élevée se déclara au commencement du printemps, et, pendant deux mois entiers, les moissons subirent les rayons brûlants d'un soleil de feu. Bientôt la végétation s'arrêta et le pays fut menacé d'une épouvantable stérilité.

Naturellement religieuse, la population du Morvand devait, en cette inquiétante conjoncture, se tourner vers le ciel et sentir se ranimer ses sentiments de foi et de confiance. Elle eut, en effet, recours au Dieu de ses pères, et réclama hautement ses anciennes miséricordes. Bientôt des processions se forment de toutes parts et se rendent pieusement aux lieux les plus renommés par la dévotion populaire. La ville de Château-Chinon tout entière, les paroisses d'Anost, d'Arleuf, de Chaumard, de Corancy, d'Ouroux, de Planchez, s'acheminent vers la chapelle de Notre-Dame-de-Faubouloin, bâtie sur un rocher, au milieu des bois, à l'est de Corancy. Celles de Saint-Bernard de Chassy, de Notre-Dame-de-Gràce à Bar-le-Régulier, de Saint-Marc à Dun, de Saint-Grégoire à Sainte-Magnance devinrent le but de semblables pèlerinages.

La pluie, qui tomba le lendemain du rendez-vous général à Notre-Dame-de-Faubouloin, augmenta singulièrement la confiance des fidèles envers la sainte Vierge, honorée d'un culte spécial en cette solitude.

Depuis cette époque, jusqu'à l'année 1846, le Morvand nous offre peu de faits d'un intérêt général et dignes de remarque. Il était alors tout occupé à la confection de ses chemins et à fonder les ponts qui servent à franchir les rivières et les torrents. L'une des routes les plus importantes, qui traversent le Haut-Morvand, celle de Nevers à Dijon, fut exécutée, de 1836 à 1840, aux frais communs de l'Etat et des départements de la Côte-d'Or et de la Nièvre. Le pont, sur lequel elle traverse la rivière de Cure, auprès de Gouloux, coûta quatre-vingt mille francs. Il est, par sa masse et son élévation, par sa longueur et l'importance de la chaussée, qui unit deux montagnes, le plus remarquable de tous. L'année de son achèvement, il fut solennellement inauguré, en présence de M. Dupin aîné, procureur général à la cour de cassation et député de Clamecy, des autorités administratives de l'arrondissement de Château-Chinon et d'un grand concours de peuple. Il reçut alors le nom de Pont-Dupin, en souvenir de l'homme à la puissante influence duquel il était dû, mais il est plus connu aujourd'hui sous celui de Pont-du-Saut, à cause de la magnifique cascade qui bondit à cent mètres plus haut et forme une des curiosités naturelles du Morvand. Trois ans plus tard, on inaugurait aussi le superbe pont-aqueduc de Montreuillon, ouvrage digne des Romains ; il sert au passage de la rigole de dérivation, qui porte une partie des eaux de la rivière d'Yonne dans le canal du Nivernais.

L'année 1844 vit la bénédiction de la première pierre de la somptueuse basilique de Dun-les-Places. Cette cérémonie, la plus solennelle dont nos campagnes eussent été témoins depuis longtemps, se fit aussi en présence de M. Dupin, des curés et des maires de toutes les communes environnantes, d'une foule de peuple, et aux détonations, cent une fois répétées, de deux canons braqués sur le sommet de la montagne dite le Haut-du-Château, qui domine le village des Places, au nord.

Une croix en fer, érigée en 1861, sur le parapet d'aval, porte deux plaques métalliques sur Iesquelles on lit:

Pont-Dupin.

Ordonnance royale du 1er avril 1840

- Bruit d'incendie, agitation populaire.

Deux ans après, aux mois d'août et de septembre, le Morvand tout entier fut livré au trouble le plus profond, à l'agitation la plus tumultueuse. Il s'agissait d'un bruit d'incendies, qui s'était propagé de toutes parts avec une excessive rapidité. Des chaleurs, aussi longues que fortes, avaient rendu les toits de chaume extrêmement inflammables ; il en était résulté quelques sinistres. L'imprudence et la malveillance en causèrent bientôt un plus, grand nombre. Les communes de Magny-Lormes, de Marigny-l'Eglise, de Saint-Brancher, de Saint-Germain-des-Champs, de Saint-Léger-de-Fourcheret, eurent leurs incendies.

Soudain mille bruits étranges se répandent. Des troupes d'incendiaires, dit-on, peuplent les forêts, rôdent autour des haies et des buissons; ici, on en a vu quelques-uns fuyant avec la rapidité du chevreuil ; là, quelques autres ont été arrêtés, encore munis d'objets propres à propager l'élément dévastateur........ Chaque jour, la renommée, qui grossit tout, apporte la nouvelle de plus terribles désastres et assigne à telle ville, à tel bourg, à tel village le jour où il sera incendié.

Effrayés par ces contes, nos crédules campagnards s'attendent, à tout instant, au malheur redouté; ils ne goûtent plus de repos. Qui n'en a pas été témoin, ne peut se faire une idée exacte de l'agitation et de l'effervescence qui régnaient dans toute la contrée, mais particulièrement au nord. À peine le soleil était-il descendu sous l'horizon, que le son du tambour, les décharges répétées d'armes à feu, des cris lugubres, annonçaient au loin que les villageois, de retour des travaux des champs, se tenaient sur leurs gardes et veillaient sur leurs habitations.

Les sous-préfets d'Avallon, de Clamecy, de Château-Chinon, assistés des procureurs du roi, parcoururent les communes de leurs ressorts pour rassurer les habitants; mais leurs avis et leur autorité furent presque toujours méconnus par des gens disposés à ne céder qu'à la peur; quelques-uns, en proie à l'exaltation, osèrent même les menacer de violence. Un fort détachement de dragons, envoyé de Nevers, parcourut la partie nivernaise du pays, afin d'y rétablir l'ordre, Un semblable détachement, venu d'Auxerre, en fit autant pour la partie avallonnaise.

Qui serait étonné qu'au milieu d'une telle agitation et sous l'influence de semblables idées, on crut voir partout des incendiaires ? En effet, un oiseau qui s'envolait inaperçu d'un buisson, un animal dans sa ronde de nuit, ou toute autre cause, devenaient autant de sujets d'alerte, qui mettaient tout un village en émoi. Et comme les battues n'amenaient aucun résultat, on se livrait aussitôt aux réflexions les plus ridicules, les plus absurdes. Ici, c'étaient des physiciens, qui aveuglaient le monde; là, des hommes malfaisants, qui avaient le talent de se métamorphoser en bêtes, à volonté ! .... Pauvre peuple! Quelle triste ignorance au milieu du siècle des lumières.

De la précipitation et de la méprise résultèrent souvent de graves accidents. A Brassy, à Island-lès-Avallon et en divers autres endroits, des gardiens de nuit tuèrent ou blessèrent des voisins inoffensifs. Inutile de dire qu'il eût été, dans ces graves circonstances, imprudent et fort dangereux de voyager, surtout pendant la nuit.

- Putréfaction des pommes de terre.

Tous ces bruits, toutes ces alarmes, toute cette effervescence cessèrent avec la pluie qui tomba vers le 20 dit mois de septembre. Revenus au calme et à la réflexion, nos campagnards, qui avaient accusé les prêtres et les nobles d'être les instigateurs et les soutiens de ces malfaiteurs imaginaires, eurent honte de leurs discours absurdes et injurieux, et déposèrent leurs préventions. Mais ils ne reviennent quelquefois d'une idée ridicule que pour en adopter une plus ridicule encore. A cette époque commença la putréfaction des pommes de terre, et cette maladie qui, chaque année depuis, a atteint ce précieux tubercule, fut encore attribuée aux prêtres.

Pourquoi le peuple cherche-t-il dans le clergé la cause de la plupart des maux qui l'affligent ? Pourquoi, trop souvent, s'obstine-t-il à voir des ennemis dans ses pasteurs, eux qui, par état et par éducation, sont appelés à prendre part à toutes ses misères et à soulager, par tous les moyens en leur pouvoir, ceux qui sont dans la souffrance et les peines ? Où en trouver la source, sinon dans une injuste prévention, née de nos bouleversements politiques et sociaux, et dans les mauvaises doctrines, répandues à profusion dans ces derniers temps?

Par suite de la putréfaction des pommes de terre et de la mauvaise récolte de 1846, une disette assez forte affligea toute la France et particulièrement nos montagnes, toujours peu approvisionnées. Mais, grâce à la charité publique, qui fit des prodiges de générosité, nos Morvandeaux éprouvèrent une gêne inaccoutumée et non une famine. Le prix du blé n'excéda pas huit francs le double-décalitre, et celui du pain trente-cinq centimes le demi-kilogramme.

Comme il arrive souvent, l'abondance remplaça bientôt la disette. La récolte de 1847 fut si productive, que le même poids de pain descendit subitement à douze centimes. Le seigle ne valut plus que un franc trente-cinq centimes. Les autres céréales et le vin subirent la même décroissance de prix.

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