- Chute de l'Empire, invasion.
Tout le monde connaît
les désastres qui amenèrent la chute de l'Empire. L'affreuse déroute
de Russie avait anéanti, en 1812, la plus belle armée du monde.
L'année suivante, une autre armée de cinq cent mille hommes était
écrasée successivement en Allemagne par l'Europe coalisée, et
Napoléon, l'âme navrée de douleur, repassait, le 3 novembre 1813,
le Rhin pour la dernière fois.
Arrivé à Paris, son
premier soin fut de convoquer les grands corps de l'État. " D'éclatantes
victoires, leur dit-il, ont illustré les armées françaises dans
cette campagne ; mais des défections sans exemple ont rendu ces
victoires inutiles. Tout a tourné contre nous. La France même
serait en danger sans l'énergie et l'union des Français. "
Le danger n'était
que trop réel. La grande armée de la Sainte-Alliance passait,
le, 21 décembre, le Rhin sur les ponts de Bâle, de Schaffouse
et de Lauffenbourg, d'un côté, entre Coblentz et Manheim de lautre,
et envahissait la France. Les glorieuses journées de Montmirail,
de Champaubert, de Vauxchamps et de Vertus ne firent que retarder
la marche des alliés sur la capitale. Néanmoins elles inspirèrent
de la confiance à la nation. On vit alors, malgré la proclamation
de Schwarzemberg menaçant les paysans de la potence, s'ils étaient
pris les armes à la main se former en Alsace, en Lorraine, en
Franche-Comté et dans le Morvand, des corps de partisans pour
harceler l'ennemi et le tenir en échec.
- Le camp des Latois.
Au commencement de
février 1814, le maire d'Alligny, Laurent Primard, manifesta au
sous-préfet de Château-Chinon le désir de se mettre à la tète
de ses administrés et d'établir un corps d'observation sur la
route de Saulieu à Autun. Ce projet généreux n'obtint pas les
sympathies de cet administrateur; car il écrivait au préfet :
" Cette intention est très dangereuse par les mouvements
irréguliers d'une bande indisciplinée, qui peut fixer l'attention
de l'ennemi sur nos communes et attirer sur cet arrondissement,
trop heureux jusqu'à présent d'être resté intact, toutes les horreurs
de la guerre. [Correspondance du sous-préfet, tome X 17,928]
Le maire, ajoute
Le Payen de Vigneul, est peut-être ce qu'il y a de mieux ; mais
c'est un homme allant à la journée et qui n'a pas cinquante francs
de revenu foncier. Doux et honnête, il est entraîné, comme un
jeune homme, doué de bonnes vues, mais sans expérience, par un
tas de ses administrés, dont une grande partie ne jouit pas de
la meilleure réputation. "
Cependant le maire
d'Alligny, suivant son ardeur patriotique, que le sous-préfet
n'osait pas blâmer ouvertement, et guidé, par le curé [Pierre-Claude-André
Rasse], dont il avait épousé la nièce, ramasse ses gens et va
se poster avec eux à la jonction des départements de la Nièvre,
de la Côte-d'Or et de Saône-et-Loire, au lieu dit les Latois,
Latebrae, nom qui exprime assez bien l'aspect de la localité.
- Arrestation de l'estafette
Franz Meuzel.
Le 5 mars, un détachement
de cinq cents Autrichiens, dont cent cavaliers, traversait Saulieu,
se rendant à Autun, où il entrait le soir. Nos Morvandeaux n'eurent
garde de l'inquiéter ; mais, dans la nuit, revint un caporal étranger,
nommé Franz Meuzel, dans une voiture courant la poste. Il portait
des dépêches au prince de Lichsteinten, resté à Montbard. Aussitôt
les hommes du poste s'élancent, saisissent le cheval et font l'estafette
prisonnière. Ils la fouillèrent et la trouvèrent munie de trois
lettres, en langue allemande, que le percepteur Rasse porta à
Saulieu, afin d'en connaître le contenu. [ Sous-préfecture de
Chàteau-Chinon, correspondance du sous-préfet, 1814, tome X, n°
17,927.] Elles annonçaient, entre autres, que, de Saulieu à Autun,
il y avait deux routes, l'une passant par Arnay-le-Duc plus sûre,
mais beaucoup plus longue ; l'autre par Lucenay-l'Evêque, plus
courte, mais très dangereuse, à cause des bois qu'elle traverse
et des défilés qu'on y rencontre, surtout entre la Pierre-Écrite
et Chissey ; qu'une poignée d'hommes, embusquée là, suffirait
pour arrêter une armée entière.
Meuzel fut conduit,
le 7, escorté d'un piquet de gardes nationaux d'Alligny, à Château-Chinon,
où il fut écroué. Le sous-préfet l'annonça à son supérieur en
ces termes : " Le caporal autrichien était dans une
voiture courant la poste. On a saisi ses papiers, son argent,
ses armes, sur un grand chemin, au milieu de la nuit, parce qu'on
était soixante contre un ! Qui nous dira que bientôt on n'arrêtera
pas les voyageurs français, les diligences... et qu'on ne pillera
pas tout ce qui se trouvera sous la main ? C'est une bande d'hommes,
la plupart braconniers, voleurs de bois, voleurs de bestiaux entre
eux... , contenus peut-être un instant par le maire qui, pour
cette fois, était avec eux, mais qui n'a rien du caractère nécessaire
pour retenir de pareils gens. Aujourd'hui ils n'auront fait que
ce qu'il fallait ; demain, ils s'épancheront dans les campagnes,
et, n'étant nullement organisés, ils nous reproduiront le tableau
des hauts faits des Vandales, des Huns ; au moins faudrait-il
un chef, fut-il un Attila, qui répondit de leur conduite ! Au
même instant où toute cette horde est en marche, à côté d'elle,
devant, derrière, sont des détachements ennemis, infanterie, cavalerie,
qui peuvent tout-à-coup tomber sur elle, brûler, saccager les
maisons des habitants, violer leurs femmes ! De proche en proche,
j'aperçois déjà l'incendie qui nous gaigne ! Et cependant, dans
ma réponse au maire, je n'ose pas toucher cette corde délicate
! Tout est de bonne prise sur l'ennemi. " [Correspondance
du sous-préfet, tome. X, n° 17,927.]
Le bon sous-préfet
était loin d'être brave. Il tremblait à la pensée de l'étranger
il n'osait parler ouvertement à son subordonné!
Le lendemain cet
administrateur se transporta à la prison et procéda à l'interrogatoire
du soldat détenu. L'Autrichien avait refusé de répondre un seul
mot aux gens d'Alligny et à ses conducteurs, bien qu'il entendit
et parlât assez correctement le français. " Entre Chissey
et la Pierre-Écrite, dit-il, j'ai été arrêté, à la pointe du jour,
par un grand nombre de paysans, qui étaient plus ou moins bien
armés, une partie avec des fusils, que j'estime avoir été cent.
Ils m'ont fait descendre de voiture, ajoute-t-il, ils m'ont fouillé,
déshabillé de la tète aux pieds..., m'ont pris mes dépêches, consistant
en trois lettres à l'adresse du prince de Lichsteinten, une paire
de pistolets d'arçon, mes cartouches, mon sabre, mon casque, deux
mouchoirs, un gilet, et cent vingt francs en argent, partie en
pièces de cinq francs, partie en écus de Russie et d'Autriche.
Les conducteurs, au contraire, soutenaient ne lui avoir pris que
dix francs. Il assure, écrivait le sous-préfet, avoir été terrassé,
lors de sa capture, et avoir reçu beaucoup d'avanies. Il se plaint
particulièrement d'avoir été renversé, en chemin, par son escorte,
fouillé in extremis et dit que les troupes, actuellement à Autun,
sont au nombre de trois mille. On connaît, dans cette ville, l'arrestation
de Meuzel et sa translation ici. Les autorités locales, les habitants,
tout le monde s'inquiète du résultat; on aurait voulu que le prisonnier
fût relâché. "
Il rapporte ensuite
un fait semblable, arrivé à Joigny, et qui attira des maux sur
la ville. " Les habitants de Château-Chinon, poursuit-il,
craignent, avec raison, que l'ennemi, se portant en force à Alligny,
se replie sur cette ville et qu'il lui en mésarrive. " [Correspondance
du sous-préfet, 17,930]
Le 8, un détachement
de trois cents cavaliers autrichiens traversa Saulieu pour se
rendre à Autun. Arrivés aux Latois, ils trouvèrent la route couverte
de gens armés, qui leur fermèrent le passage ; mais ils se jetèrent
dans la traverse et purent ainsi continuer leur route.
Bientôt le tocsin
se fait entendre dans toutes les communes environnantes, et les
campagnards, armés de fusils, de faux et de piques, se portent
aux Latois. Quinze cents à deux mille hommes s'y trouvent réunis
sous le commandement du percepteur Rasse, auquel s'adjoignirent
bientôt Collenot, capitaine de la garde nationale de Moux, et
Hubinet, colonel de celle de Chissey.
" Les campagnes,
écrivait le sous-préfet, se donnent la main, particulièrement
dans Saône-et-Loire; dans les mêmes vues, plusieurs communes de
l'arrondissement de Château-Chinon se trouvent entraînées à les
imiter. Elles sonnent le tocsin. Cela peut produire un effet pour
déjouer les projets de l'ennemi, tant qu'il ne sera pas en force
; mais à quels malheurs devrait s'attendre l'habitant des campagnes,
si l'ennemi se trouve en nombre suffisant. Il doit être permis
à un administrateur qui, comme moi, a toujours servi de père à
ses administrés, de concevoir des craintes d'une conduite irréfléchie,
tenue par des bandes d'hommes se jetant au hasard où ils croient
produire de l'effet, mais sans être dirigées par aucun commandant
habile et sage.
Cependant M. B...,
maître de poste à la Pierre-Écrite, par crainte d'être saccagé,
avait consenti à faire parvenir à Semur et à Montbard deux dépêches
autrichiennes. Cette condescendance attira sur sa maison la colère
des partisans, qui la mirent à contribution et lui auraient fait
à lui-même un mauvais parti, s'il n'avait fui inaperçu. "
Les habitants de la commune, écrivait le maire d'Alligny, et ceux
des communes environnantes, sont indignés de cette conduite. J'ai
fait tous mes efforts pour retenir le peuple, mais je n'en réponds
plus, les esprits sont montés au plus haut point. Que puis-je
faire, d'ailleurs, pour ce particulier, qui n'a pas craint de
me dénoncer à l'ennemi et qui a dit ouvertement que sil passait
près de nous, il le dirigerait sur moi et sur d'autres, qui ont
montré autant d'enthousiasme que de bravoure ? A l'instant, ajoute-t-il,
les habitants sous les armes, et revenant de la route, me rapportent
que la force armée des communes voisines, et faisant le même service
que nous sur le chemin, s'est portée chez B... et l'a fait contribuer
en pain, en vin et autres denrées. Des portes ont été enfoncées,
des croisées brisées. Heureusement que les gens de la commune
n'y ont participé en rien. " [Correspondance. du sous-préfet,
17,930]
- Attaque du château de Lucenay-l'Évêque
Jusque-là, le camp
n'avait rien entrepris de sérieux ; mais alors il fut informé
que trente cavaliers ennemis se trouvaient au château de Lucenay-l'Evêque.
L'occasion était favorable pour signaler son zèle contre les envahisseurs
de la patrie et jeter la terreur parmi les ennemis. L'attaque
fut résolue. Nos Morvandeaux se divisent en deux bandes, ayant
à leur tète Collenot et Rasse. La première arriva, sans donner
l'éveil, jusque sous les murs du château. La seconde, entravée
dans sa marche par les habitants de Lucenay, qui redoutaient,
pour leur bourg, les conséquences de ce coup de main, fut le salut
des Autrichiens ; ils s'enfuirent par une porte mal gardée, et
en furent quittes, malgré deux décharges consécutives, pour un
homme tué et quelques chevaux blessés.
Ce premier succès,
quoique faible, produisit l'effet qu'on en attendait. Le camp
grandit en renommée et les montagnards s'y rendirent en foule.
On y vit arriver trente gardes forestiers, bien armés, envoyés
par Brochot, inspecteur des forêts.
- Hubinet au pont de Souvert
Cependant Hubinet,
renfermé dans son château de Chissey, avec des gens déterminés,
attendait l'occasion de frapper un coup. Elle se présenta bientôt.
Il avait été dénoncé au commandant des forces alliées, à Autun,
qui pensait le surprendre avec tous ses partisans. Le général
autrichien envoya donc, de nuit, deux à trois cents cavaliers
contre lui. Mais Hubinet, ayant été prévenu par Desbois, aubergiste
à Lucenay, venu à Chissey à course de cheval, s'avança avec ses
gens jusqu'au pont de Souvert, où il les embusqua. La nuit était
profonde. Quand le détachement ennemi fut entièrement passé, il
commanda une décharge générale, qui abattit plusieurs hommes et
un plus grand nombre de chevaux. Les étrangers, n'osant repasser
sur le pont, se jetèrent à droite et à gauche de la route et furent
poursuivis par les paysans, qui en firent un carnage, de manière
qu'il n'en rentra que quelques-uns à Autun.
Cette seconde affaire
répandit une sorte de stupeur parmi les alliés. Ils résolurent
aussitôt de former un camp d'observation de 40,000 hommes aux
environs d'Autun.
Le 15 mars, le sous-préfet,
en vertu d'ordres supérieurs, écrivit au maire d'Alligny pour
une levée en masse des habitants, et nomma Dutout, brigadier à
Montsauche, pour les commander. " Le choix qui est fait de
vous, lui disait-il, d'après les bons rapports de votre lieutenant,
vous est honorable, puisqu'il est fondé sur l'estime de vos chefs.
Vous en userez avec courage et avec prudence. " [Correspond.
du 17,949 et 17,950].
- Le chambellan de Forbin-Janson
Cependant l'Empereur,
informé de ce qui se passait en Morvand, ordonna à son chambellan,
de Forbin-Janson, de se rendre au camp des Latois et d'en prendre
le commandement avec le titre de colonel. Il se trouva donc, le
19 mars, avec son état major, à Château-Chinon, d'où il se dirigea
sur Alligny et alla loger au presbytère, qui devint son quartier
général. Le 21 le maire reçut l'ordre de se soumettre au chambellan
de l'Empereur pour la direction des forces locales et pour la
défense du pays, tandis que les communes étaient invitées à fournir
des vivres pour les hommes et des fourrages pour les chevaux.
[ Correspond. Du sous-préfet, 17,965, 17,968, 17,972.] Le lendemain,
Hubinet réunit ses forces à celles de Forbin-Janson, qui se trouva
ainsi seul chargé du commandement général. [Ibid., 17,987. Pendant
les jours que Forbin-Janson passa à Alligny, il fut parrain d'un
enfant de la paroisse.]
Le colonel se mit
aussitôt en communication avec les maires des communes, stimula
leur zèle patriotique et prescrivit des levées en masse, afin
de se porter sur Autun et d'empêcher la livraison de contributions
énormes, imposées par les ennemis. Après avoir arrêté des troupeaux
de bufs, que l'on conduisait au camp des Chaises, il voulut
tenter un coup de main sur le camp lui-même et s'emparer de quelques
pièces de canon. Il choisit donc, pour cette tentative hardie,
quatre à cinq cents des plus braves de ses partisans, s'avance
en silence avec eux et pénètre dans le camp, au milieu de la nuit.
Mais l'alarme ayant été donnée, il se vit bientôt enveloppé par
quatre mille Autrichiens et forcé de chercher son salut dans la
fuite. " Mes amis, s'écrie-t-il alors, nous sommes cernés;
du sang-froid et du courage. Suivez-moi ! " Puis il commande
un feu de peloton, qui force l'ennemi à ouvrir un passage. La
petite troupe gagna, à travers bois, le château de Montieu. De
là, de Forbin-Janson se rendit à Château-Chinon, où il trouva
onze caisses d'armes avec des détachements d'hommes et de chevaux,
qui lui étaient destinés; mais il apprit bientôt la capitulation
de Paris et l'abdication de Fontainebleau. Dès lors il licencia
ses hommes pour se retirer dans ses foyers. Tout était terminé.
- Abdication de l'Empereur,
départ pour l'île d'Elbe, son retour en France.
Quinze jours après,
l'Empereur partait pour l'île d'Elbe, qui lui avait été donnée
en toute souveraineté avec deux millions de revenu. Un empire
de vingt-cinq à trente lieues de tour, et qui ne renfermait pas
plus de treize mille sujets, ne pouvait satisfaire le héros, qui
avait dicté des lois à l'Europe presque entière. Aussi, quittait-il
secrètement cette île, le 27 février de l'année suivante, pour
venir en France reconquérir le trône brillant dont il était descendu.
Dans sa course rapide et, triomphante, des bords de la Méditerranée
à la capitale, Napoléon traversa le nord-est du Morvand, où il
reçut, comme nous l'avons vu, des témoignages de la plus vive
sympathie de la part des habitants de la contrée, et se reposa
quelques instants au château de Chissey. Mais la fortune, qui
l'avait élevé si haut, et qui parut lui sourire encore un moment,
l'abandonna enfin pour toujours. La bataille de Waterloo, perdue
le 18 juin 1815, fuit la consommation de la ruine du puissant
empire qu'il avait fondé au prix de tant de victoires et de tant
de sang répandu. Une seconde invasion s'ensuivit.
- Nouvelle invasion.
De nouveau maîtresses
de la France, les armées étrangères se répandirent dans les provinces
de la rive droite de la Loire, et le Morvand fut parcouru en tous
sens. Bien qu'elles n'y aient séjourné que peu de temps, le pays
en fut grevé et s'en ressentit douloureusement. À Bazoches, par
exemple, on estime, à vue de pièces, que le montant des fournitures
faites en ce lieu et dans les environs, s'éleva à 22,239 fr. Les
habitants des campagnes, effrayés, s'enfuirent à leur approche
et coururent se cacher, avec leurs troupeaux, au fond des bois;
à peine quelques villageois, plus intrépides, se hasardèrent-ils
à rester au hameau, devenu désert et silencieux.
Dans ces graves circonstances,
la petite ville de Luzy fut occupée par un corps d'armée de trois
mille hommes de pied et de six mille chevaux, sous le commandement
du comte de Franqmont, officier général au service du roi de Wurtemberg.
Une ville de si peu d'importance ne pouvant loger tant de monde,
les Wurtembergeois furent forcés de se jeter dans la banlieue
et même de former un camp dans la prairie voisine.
Il arriva, dans l'intervalle
de leur séjour, que le feu prit, au milieu de la nuit, dans un
magasin de fourrages et menaça la ville d'un embrasement général.
Aussitôt le lugubre tocsin retentit an beffroi et appelle les
habitants à la défense de leurs foyers en péril. Dans un instant,
toute la population est sur pied. On accourt incontinent de tous
les coins de la ville, on se mêle, on se heurte, et il s'ensuit
un bruit confus et extraordinaire.
Tandis que ceci se
passait en ville, le camp, de son côté, entrait dans l'agitation
et le trouble. On avait cru à un soulèvement du pays. Les soldats,
à la voix des chefs, étaient accourus aux armes, et des courriers
avaient été expédiés, en toute hâte, aux divers détachements cantonnés
dans les environs. Mais la cause du mouvement ayant été bientôt
comme, le camp rentra dans le calme, et, de part et d'autre, on
en fut quitte pour la peur et un sommeil troublé.
A leur passage à
Alligny, les alliés, qui s'y étaient réunis en force, à cause
de la réputation de bonapartisme que le camp des Latois avait
faite au pays, en traitèrent assez durement les habitants. On
s'attendait même au pillage et à l'incendie; néanmoins, tout se
borna aux menaces et à la crainte, si ce n'est à l'égard du curé,
homme bon et généreux, mais connu par ses opinions politiques,
qui lui avaient valu, dans les Cent-Jours, la décoration de la
Légion-d'Honneur. [Il reçut la croix des mains de l'Empereur lui-même,
à Chissey.]
- Le curé et le gendarme.
Plusieurs officiers
de l'état-major ayant pris leur logement au presbytère, traitèrent
d'abord leur hôte avec toutes sortes d'égards et de bienveillance.
Mais devenu bientôt l'objet de la surveillance la plus rigoureuse,
le curé comprit que des délations avaient été faites contre lui.
En effet, il avait été accusé, outre ses opinions politiques,
d'avoir reçu chez lui les chefs du camp des Latois, de s'être
entendu avec eux sur les mesures à prendre, et même d'avoir laissé
fondre, dans son propre foyer, des balles pour cette destination.
Le jour du départ
arrivé, sa maison fut dévastée, son mobilier chargé sur des chariots,
et lui-même emmené prisonnier à la suite de l'armée. A quel sort
dut-il dès lors s'attendre ? Les tristes pensées qui agitèrent
son âme et le blanchirent pendant la première nuit qu'il passa
à Autun, montrent assez qu'il sentait toute la gravité de sa position.
Heureusement pour lui, ses supérieurs, prévenus à temps, étaient
accourus et l'avaient réclamé auprès des chefs. Ceux-ci, sur leurs
instantes sollicitations, consentirent enfin à le leur remettre,
sous la condition d'une grave correction, qui fut laissée à leur
choix.
Ce n'était pas la
première fois que le bon curé avait vu sa tète menacée. Déjà prêtre
en 1789, il avait dû, pendant la terreur, pour éviter la hache
révolutionnaire, quitter le costume ecclésiastique et revêtir
l'uniforme de soldat. Gendarme à Arnay-le-Duc, sa nouvelle profession
l'obligea, quelquefois, à poursuivre, en vertu d'ordres barbares,
ses confrères dans le sacerdoce, métier pénible pour lui sans
doute, et presque aussi terrible que la mort.
Il lui arriva donc,
un jour, d'être envoyé, sur une dénonciation, avec un de ses nouveaux
collègues, pour arrêter un prêtre, un de ceux qu'on nommait alors
réfractaires. Mais que faire dans cette funeste occurrence ? Se
saisir de l'innocente victime pour l'envoyer au supplice, cela
répugnait à son cur d'homme et encore plus à sa conscience
de prêtre ; la laisser publiquement s'échapper, c'était se dévouer
lui-même à une mort certaine ! Telles étaient les pensées que,
chemin faisant, il roulait dans son âme.
Cependant nos deux
gendarmes approchaient de la maison qui avait donné asile au vertueux
prêtre ; déjà ils étaient près d'arriver, lorsque s'adressant
tout-à-coup à son compagnon d'armes : " Camarade, lui dit-il,
il ne faut pas que le gibier nous échappe, cernons la maison "
et tandis que le satellite dévoué aux ordres de Robespierre, se
postait d'un côté, lui accourait lestement par la porte opposée.
Le misérable dénonciateur avait dit vrai ; le prêtre fidèle était
là, payant une dette sacrée; il récitait son bréviaire.
A la vue du redoutable
uniforme, l'ecclésiastique frissonne, le livre lui échappe des
mains. " Sauve, sauve, lui dit alors une voix amie, sauve
bien vite ; sous ce costume qui t'effraie, reconnais un confrère,
un ami ; néanmoins, sauve-toi bien vite, car je ne suis pas seul
" et le prêtre, stupéfait, s'échappait rapidement, et le
gendarme, grommelant de ce que, disait-il, on les avait trompés,
rejoignait son collègue qui ne soupçonna pas la pieuse fraude.
[Ces faits nous ont été racontés par le héros lui-même.]
- Famine.
L'année qui suivit
le départ des alliés, fut une époque bien cruelle pour la France.
La présence de tant d'étrangers, qu'il fallut nourrir et payer,
l'avait épuisée. Les récoltes, que des pluies continuelles avaient
gâtées, produisirent peu et mûrirent fort mal. Aussi, une disette
terrible et dont le Morvand, en particulier, souffrit beaucoup,
se manifesta bientôt. Au printemps de l'année 1817, le blé devint
si rare, qu'il coûtait 12 ou 13 fr. la mesure ; le pain se payait
jusqu'à 60 c. le demi-kilogramme chez les boulangers ; les pommes
de terre se vendaient 16 à 18 fr. les deux hectolitres ; le vin
valait 1 fr. la bouteille.
La plupart de nos
Morvandeaux se ruinèrent pour se procurer quelque peu de mauvais
pain. Beaucoup n'en mangèrent pas depuis le commencement du printemps
jusqu'à la moisson, qui heureusement fut précoce et abondante.
On se nourrit, dans les campagnes, d'herbes sauvages, cueillies
dans les prés, de racines arrachées dans les forêts, et d'autres
végétaux aussi malsains que dégoûtants. On rencontrait, çà et
là, des personnes pâles, livides, exténuées de besoin, et même
tombant de faiblesse le long des chemins. L'enfant, à la mamelle,
demandait en vain au sein maternel une nourriture que les privations
avaient tarie; son aîné réclamait-il du pain, il ne recevait,
le plus souvent, que de brûlantes larmes, dont une mère désolée
inondait son visage Et pourtant on ne murmurait point, on n'accusait
personne on se résignait. Nos murs ont bien changé ! Le
peuple des campagnes a toujours désigné cette funeste époque sous
le nom de mauvaise année.
- Une bande de voleurs.
Dans ces tristes
circonstances, une bande de dix-sept voleurs, poussés par la passion
du mal autant que par le besoin, forma une horrible société, qui
porta la crainte et l'effroi dans la partie sud de notre contrée.
Ces misérables, réunis des communes de Préporché, de La Roche-Milay,
de Sémelay et de Villapourcon, se livrèrent à divers excès; ils
attaquèrent, entre autres, le château de Bouton, près Verrières-sous-GIaine,
où l'un d'eux trouva la mort devant la résistance énergique du
propriétaire. Une autre bande, composée de huit malfaiteurs, ourdit,
en revenant d'une foire de Château-Chinon, l'abominable complot
d'assassiner un pauvre meunier de Villapourcon, avec toute sa
famille, pour enlever l'argent qu'il possédait. Ce projet fut
exécuté, en partie, avec les horribles circonstances que nous
rapporterons ailleurs. Ces brigands étaient vulgairement nommés
chauffeurs, à cause de la barbarie avec laquelle ils brûlaient
les membres de leurs victimes, pour les forcer à déclarer où était
leur argent.
Arrêtés par suite
de cet affreux assassinat, ces derniers furent traduits devant
la cour prévôtale de la Nièvre, et condamnés au supplice capital,
qu'ils subirent à Château-Chinon Le terrible instrument de la
justice humaine fut dressé sur la principale place de la ville,
où sept d'entre eux furent exécutés en présence d'une foule immense
de personnes, que la nouveauté du spectacle avait attirées. Le
gouvernement, en punissant ces grands coupables dans les lieux
qui avaient été témoins de leur crime, voulut donner, par là,
un exemple salutaire à notre population et la détourner à jamais
de pareils attentats.
- La Restauration.
Les années qui suivirent
furent une époque de prospérité et de bonheur pour le Morvand,
comme pour toute la France. Les guerres continuelles qui, pendant
plus de vingt ans, ensanglantèrent le sol de l'Europe et arrachèrent
tant de bras à l'agriculture, avaient entièrement cessé. Nos Morvandeaux
s'occupaient activement de la culture de leurs champs, tandis
qu'un gouvernement doux et paternel faisait fleurir le commerce
et l'industrie. Aussi, le règne de Louis XVIII, qui finit par
la mort de ce prince, le 16 septembre 1824, laissa de précieux
souvenirs parmi eux. " C'était un bon roi, celui-là "
répètent-ils encore ; mais leur extrême crédulité, exploitée en
1830, leur a imprimé un tout autre sentiment sur son successeur,
comme nous le dirons bientôt.
Par suite du concordat
de 1801, le Morvand tout entier, si ce n'est la partie comprise
dans le département de l'Yonne, qui fut unie au diocèse de Troyes,
était repassé sous la juridiction des évêques d'Autun. Mais les
antiques sièges de Nevers et de Sens ayant été rétablis en vertu
d'un nouveau concordat, conclu le 11 juin 1817, entre le roi de
France et le souverain pontife, la partie comprise dans le département
de la Nièvre fut attribuée, en 1822, au diocèse de Nevers; celle
renfermée dans le département de l'Yonne, à celui de Sens. Les
nouveaux prélats, après les soins donnés aux affaires les plus
urgentes, s'empressèrent de visiter leurs diocésains du Morvand.
Partout les populations montrèrent le zèle le plus ardent, et
accoururent, en foule, sur leurs pas. Mais nulle part peut-être
l'affluence ne fut aussi grande qu'à Ouroux, à Montsauche, à Alligny,
où Mgr Millaux, évêque de Nevers, administra, au mois de septembre
1825, le sacrement de Confirmation. De mémoire d'homme ces paroisses
n'avaient reçu de visite épiscopale; aussi l'élan fut-il général.
Le nombre des fidèles fut si grand, que le prélat se vit contraint,
à cause de l'insuffisance des églises, de confirmer sur les cimetières
et les places publiques. Le jubilé séculaire, qui se célébra,
deux ans plus tard, fut aussi une époque d'enthousiasme religieux
pour le Morvand. La foi et la piété, que nos bouleversements politiques
avaient tant affaiblies, se ranimèrent alors dans les curs.
- Révolution de juillet 1830.
La révolution du
mois de juillet 1830, qui renversa le trône de Charles X, trouva
de nombreux partisans parmi nos Morvandeaux. On répandit alors
le bruit que ce prince voulait rendre les dîmes au clergé, rétablir
les corvées, et même faire manger de l'herbe ait peuple. C'en
était assez pour qu'ils applaudissent à la chute du monarque régnant
et de sa dynastie, et pour rendre populaire l'avènement de la
branche d'Orléans. En effet, rien n'effraie autant nos bons compatriotes
que la pensée du rétablissement de la dîme ecclésiastique; c'est
pour eux un véritable cauchemar. Aussi, à la faveur de cet épouvantail
puéril, on leur fera croire les choses les plus ridicules et les
plus absurdes. Cela se comprend, en quelque sorte, de la part
d'une population généralement pauvre, et qui, d'ailleurs, accorde
beaucoup à la crédulité et peu au raisonnement.
Le règne de Louis-Philippe,
qu'on a nommé, à juste titre, le gouvernement d'argent et du bien-être
matériel, a été, nous devons le reconnaître, très favorable, sous
ce rapport, au Morvand, jusque-là si abandonné. C'est pendant
les dix-huit années qu'il dura, que furent jetés sur les rivières
et les torrents ces ponts nombreux, que nous remarquons dans nos
montagnes, et que furent exécutées ces routes magnifiques qui
les parcourent en tous sens. L'agriculture, de son côté, fut encouragée
et fit des progrès notables. L'instruction fut aussi propagée
mais, malheureusement, l'éducation n'ayant pas marché de front,
il s'ensuivit, ici, comme dans le reste de la France, une désorganisation
funeste dans les idées et dans les principes religieux, tellement
que nous reconnaissons à peine aujourd'hui le Morvand d'autrefois.
Mais suivons l'ordre des événements.
En 1832, le samedi
28 juillet, un effroyable incendie consuma, en moins de deux heures,
le village de Planchez et en fit un monceau de décombres. Soixante-sept
familles furent réduites à une extrême détresse, sans vêtements,
sans pain, sans asile. A cette triste nouvelle, les curs
s'émurent, et la compassion, naturelle aux Morvandeaux, produisit
des merveilles. De toutes parts, des quêtes s'organisèrent, d'abondantes
aumônes furent recueillies, et le désastre fut promptement réparé.
Cette année-là, un léger tremblement de terre agita tout le Morvand.
Déjà, cinquante ans auparavant, on avait ressenti une semblable
secousse.
Rien n'est plus nuisible
à notre contrée qu'une longue sécheresse. Le sol, par suite de
sa nature arénacée et de sa position presque partout très inclinée,
s'égoutte rapidement. Il a besoin, par conséquent, d'être fréquemment
arrosé. En 1834, une température extrêmement élevée se déclara
au commencement du printemps, et, pendant deux mois entiers, les
moissons subirent les rayons brûlants d'un soleil de feu. Bientôt
la végétation s'arrêta et le pays fut menacé d'une épouvantable
stérilité.
Naturellement religieuse,
la population du Morvand devait, en cette inquiétante conjoncture,
se tourner vers le ciel et sentir se ranimer ses sentiments de
foi et de confiance. Elle eut, en effet, recours au Dieu de ses
pères, et réclama hautement ses anciennes miséricordes. Bientôt
des processions se forment de toutes parts et se rendent pieusement
aux lieux les plus renommés par la dévotion populaire. La ville
de Château-Chinon tout entière, les paroisses d'Anost, d'Arleuf,
de Chaumard, de Corancy, d'Ouroux, de Planchez, s'acheminent vers
la chapelle de Notre-Dame-de-Faubouloin, bâtie sur un rocher,
au milieu des bois, à l'est de Corancy. Celles de Saint-Bernard
de Chassy, de Notre-Dame-de-Gràce à Bar-le-Régulier, de Saint-Marc
à Dun, de Saint-Grégoire à Sainte-Magnance devinrent le but de
semblables pèlerinages.
La pluie, qui tomba
le lendemain du rendez-vous général à Notre-Dame-de-Faubouloin,
augmenta singulièrement la confiance des fidèles envers la sainte
Vierge, honorée d'un culte spécial en cette solitude.
Depuis cette époque,
jusqu'à l'année 1846, le Morvand nous offre peu de faits d'un
intérêt général et dignes de remarque. Il était alors tout occupé
à la confection de ses chemins et à fonder les ponts qui servent
à franchir les rivières et les torrents. L'une des routes les
plus importantes, qui traversent le Haut-Morvand, celle de Nevers
à Dijon, fut exécutée, de 1836 à 1840, aux frais communs de l'Etat
et des départements de la Côte-d'Or et de la Nièvre. Le pont,
sur lequel elle traverse la rivière de Cure, auprès de Gouloux,
coûta quatre-vingt mille francs. Il est, par sa masse et son élévation,
par sa longueur et l'importance de la chaussée, qui unit deux
montagnes, le plus remarquable de tous. L'année de son achèvement,
il fut solennellement inauguré, en présence de M. Dupin aîné,
procureur général à la cour de cassation et député de Clamecy,
des autorités administratives de l'arrondissement de Château-Chinon
et d'un grand concours de peuple. Il reçut alors le nom de Pont-Dupin,
en souvenir de l'homme à la puissante influence duquel il était
dû, mais il est plus connu aujourd'hui sous celui de Pont-du-Saut,
à cause de la magnifique cascade qui bondit à cent mètres plus
haut et forme une des curiosités naturelles du Morvand. Trois
ans plus tard, on inaugurait aussi le superbe pont-aqueduc de
Montreuillon, ouvrage digne des Romains ; il sert au passage de
la rigole de dérivation, qui porte une partie des eaux de la rivière
d'Yonne dans le canal du Nivernais.
L'année 1844 vit
la bénédiction de la première pierre de la somptueuse basilique
de Dun-les-Places. Cette cérémonie, la plus solennelle dont nos
campagnes eussent été témoins depuis longtemps, se fit aussi en
présence de M. Dupin, des curés et des maires de toutes les communes
environnantes, d'une foule de peuple, et aux détonations, cent
une fois répétées, de deux canons braqués sur le sommet de la
montagne dite le Haut-du-Château, qui domine le village des Places,
au nord.
Une croix en fer,
érigée en 1861, sur le parapet d'aval, porte deux plaques métalliques
sur Iesquelles on lit:
Pont-Dupin.
Ordonnance royale
du 1er avril 1840
- Bruit d'incendie, agitation
populaire.
Deux ans après, aux
mois d'août et de septembre, le Morvand tout entier fut livré
au trouble le plus profond, à l'agitation la plus tumultueuse.
Il s'agissait d'un bruit d'incendies, qui s'était propagé de toutes
parts avec une excessive rapidité. Des chaleurs, aussi longues
que fortes, avaient rendu les toits de chaume extrêmement inflammables
; il en était résulté quelques sinistres. L'imprudence et la malveillance
en causèrent bientôt un plus, grand nombre. Les communes de Magny-Lormes,
de Marigny-l'Eglise, de Saint-Brancher, de Saint-Germain-des-Champs,
de Saint-Léger-de-Fourcheret, eurent leurs incendies.
Soudain mille bruits
étranges se répandent. Des troupes d'incendiaires, dit-on, peuplent
les forêts, rôdent autour des haies et des buissons; ici, on en
a vu quelques-uns fuyant avec la rapidité du chevreuil ; là, quelques
autres ont été arrêtés, encore munis d'objets propres à propager
l'élément dévastateur........ Chaque jour, la renommée, qui grossit
tout, apporte la nouvelle de plus terribles désastres et assigne
à telle ville, à tel bourg, à tel village le jour où il sera incendié.
Effrayés par ces
contes, nos crédules campagnards s'attendent, à tout instant,
au malheur redouté; ils ne goûtent plus de repos. Qui n'en a pas
été témoin, ne peut se faire une idée exacte de l'agitation et
de l'effervescence qui régnaient dans toute la contrée, mais particulièrement
au nord. À peine le soleil était-il descendu sous l'horizon, que
le son du tambour, les décharges répétées d'armes à feu, des cris
lugubres, annonçaient au loin que les villageois, de retour des
travaux des champs, se tenaient sur leurs gardes et veillaient
sur leurs habitations.
Les sous-préfets
d'Avallon, de Clamecy, de Château-Chinon, assistés des procureurs
du roi, parcoururent les communes de leurs ressorts pour rassurer
les habitants; mais leurs avis et leur autorité furent presque
toujours méconnus par des gens disposés à ne céder qu'à la peur;
quelques-uns, en proie à l'exaltation, osèrent même les menacer
de violence. Un fort détachement de dragons, envoyé de Nevers,
parcourut la partie nivernaise du pays, afin d'y rétablir l'ordre,
Un semblable détachement, venu d'Auxerre, en fit autant pour la
partie avallonnaise.
Qui serait étonné
qu'au milieu d'une telle agitation et sous l'influence de semblables
idées, on crut voir partout des incendiaires ? En effet, un oiseau
qui s'envolait inaperçu d'un buisson, un animal dans sa ronde
de nuit, ou toute autre cause, devenaient autant de sujets d'alerte,
qui mettaient tout un village en émoi. Et comme les battues n'amenaient
aucun résultat, on se livrait aussitôt aux réflexions les plus
ridicules, les plus absurdes. Ici, c'étaient des physiciens, qui
aveuglaient le monde; là, des hommes malfaisants, qui avaient
le talent de se métamorphoser en bêtes, à volonté ! .... Pauvre
peuple! Quelle triste ignorance au milieu du siècle des lumières.
De la précipitation
et de la méprise résultèrent souvent de graves accidents. A Brassy,
à Island-lès-Avallon et en divers autres endroits, des gardiens
de nuit tuèrent ou blessèrent des voisins inoffensifs. Inutile
de dire qu'il eût été, dans ces graves circonstances, imprudent
et fort dangereux de voyager, surtout pendant la nuit.
- Putréfaction des pommes de
terre.
Tous ces bruits,
toutes ces alarmes, toute cette effervescence cessèrent avec la
pluie qui tomba vers le 20 dit mois de septembre. Revenus au calme
et à la réflexion, nos campagnards, qui avaient accusé les prêtres
et les nobles d'être les instigateurs et les soutiens de ces malfaiteurs
imaginaires, eurent honte de leurs discours absurdes et injurieux,
et déposèrent leurs préventions. Mais ils ne reviennent quelquefois
d'une idée ridicule que pour en adopter une plus ridicule encore.
A cette époque commença la putréfaction des pommes de terre, et
cette maladie qui, chaque année depuis, a atteint ce précieux
tubercule, fut encore attribuée aux prêtres.
Pourquoi le peuple
cherche-t-il dans le clergé la cause de la plupart des maux qui
l'affligent ? Pourquoi, trop souvent, s'obstine-t-il à voir des
ennemis dans ses pasteurs, eux qui, par état et par éducation,
sont appelés à prendre part à toutes ses misères et à soulager,
par tous les moyens en leur pouvoir, ceux qui sont dans la souffrance
et les peines ? Où en trouver la source, sinon dans une injuste
prévention, née de nos bouleversements politiques et sociaux,
et dans les mauvaises doctrines, répandues à profusion dans ces
derniers temps?
Par suite de la putréfaction
des pommes de terre et de la mauvaise récolte de 1846, une disette
assez forte affligea toute la France et particulièrement nos montagnes,
toujours peu approvisionnées. Mais, grâce à la charité publique,
qui fit des prodiges de générosité, nos Morvandeaux éprouvèrent
une gêne inaccoutumée et non une famine. Le prix du blé n'excéda
pas huit francs le double-décalitre, et celui du pain trente-cinq
centimes le demi-kilogramme.
Comme il arrive souvent,
l'abondance remplaça bientôt la disette. La récolte de 1847 fut
si productive, que le même poids de pain descendit subitement
à douze centimes. Le seigle ne valut plus que un franc trente-cinq
centimes. Les autres céréales et le vin subirent la même décroissance
de prix.