POIDS,
MESURES et MONNAIES
En 1790, Claude-Antoine
PRIEUR-DUVERNOIS, officier du Génie, rédige un "mémoire
sur la nécessité et les moyens de rendre uniforme les mesures
dans tout le royaume". Le sujet était particulièrement
ardu, car le système des poids et mesures était caractérisé par
une diversité à peine imaginable.
Le système métrique
a été institué par les lois du 18 germinal an 3 et du 19 frimaire
an 8.
Dans les faits, c'est seulement à partir du 01/01/1840 que tous
les poids et mesures anciens furent définitivement interdits sous
peine de pénalités. Il aura fallu près de 36 ans pour que le nouveau
système entre effectivement en application.
Jusqu'à la révolution,
quelques unités de mesure étaient à peu près communes à l'ensemble
de la France, mais seulement par leur nom, leur contenu étant
variable selon les provinces et les lieux.Cette variabilité
des mesures pose de nombreux problèmes dans la vie quotidienne.
Elle est un frein aux échanges, et une source de contestation
qui apparaîtra de façon générale lors
de la réaction des cahiers de doléances en mars
1789. (
voir ci-dessous)
Ces unités de mesure
à peu près communes étaient les suivantes :
Poids |
Livre, marc, once,
gros ou treizeau, denier ou scrupule, maille ou obole, félin,
esterlin, carat, grain, prime |
Longueur |
Lieue terrestre, lieue
de poste, lieue marine, mille marin, encablure, journal, perche,
toise, brasse, aune, pas, pied, palme, pouce, doigt, ligne,
trait |
Superficie |
Arpent, perche carrée,
toise carrée, palme carrée, pied carré, doigt carré, pouce carré,
trait carré |
Volume |
Toise cube, corde,
voie, pièce, pied cube, pouce cube, ligne cube |
Monnaies

|
Voir page Monnaies (chronologie
des monnaies ayant cours pendant la période 1786-1822)
Louis d'or = 48 livres (ou 24
livres)
Ecu d'argent = 6 livres (ou 3 livres)
Livre = 20 sols tournois = 240 deniers tournois. La livre
est devenue le Franc après la Révolution
Sol = 12 deniers tournois
Gros = 20 deniers tournois
Blanc = 5 deniers tournois
Obole = 1/2 denier tournois |
A côté de ces
unités communes, chaque province, région, ville, seigneur avait
développé son propre système de mesure.
Ici les mesures en vigueur en Bourgogne juste avant la Révolution.
Longueur |
Equivalence |
Système
métrique |
Longueur |
Equivalence |
Système
métrique |
Lieue
de Bourgogne |
18
000 pieds |
5847,108
m |
Chemin
Finérot |
6
pas de largeur |
5,847
m |
Perche
de Bourgogne |
9,5
pieds |
3,086
m |
Sentier
de Bourgogne |
1,5
pas |
1,461
m |
Toise
de Bourgogne |
7,5
pieds |
2,436
m |
Aune
de Dijon |
2,5
pieds |
0,812
m |
Grand
chemin de Bourgogne |
10
pas |
9,745
m |
Pied |
|
0,324
m |
Superficie |
Equivalence |
Système
métrique |
Superficie |
Equivalence |
Système
métrique |
Bichetée |
1500
toises de 6 pieds = 4 boisselées ou mesures |
56,
981 ares |
Mesure, boisselée
ou coupée |
1/3
de journal |
11,428
ares |
Arpent royal |
100
perches de 22 pieds = 4 mesures de 4 coupes |
51,072
ares |
Quarteraude |
200
toises de 6 pieds |
7,598
ares |
Arpent de Bourgogne |
449
perches de 9,5 pieds |
42,759
ares |
Mesure |
1/4
de journal |
8,571
ares |
Bichetée |
1000
toises de 6 pieds = 3 boisselées de 2 coupes |
37,987
ares |
Coupée |
1/6
de journal |
5,714
ares |
Journal ou Soiture
de Bourgogne |
8
ouvrées = 360 perches |
34,284
ares |
Ouvrée |
1/8
de journal |
4,285
ares |
Petit journal |
240
perches de 9,5 pieds
Dans les régions les plus pentues (Morvan), le petit
journal peut être de 180 perches |
22,856
ares ou 17,142 ares |
Ouvrée |
54
perches de 9,5 pieds |
5,142
ares |
Mesure |
450
toises de 6 pieds = 6 coupes |
17,094
ares |
Ouvrée |
50
perches de 9,5 pieds |
4,762
ares |
Mesure ou boisselée |
400
toises de 6 pieds = 2 quarteraudes |
15,195
ares |
Perche de Bourgogne |
90,25
pieds carrés |
0,09523
ares |
Mesure |
360
toises de 6 pieds |
13,675
ares |
Toise carrée
de Bourgogne |
56,25
pieds carrés |
5,93553
m2 |
Solidité |
longueur
x hauteur x largeur |
Système
métrique |
Solidité |
longueur
x hauteur x largeur |
Système
métrique |
Corde de Semur |
8
pieds x 4 pieds x 3 pieds 8 pouces |
4,022
stères |
Moule d'Arnay
et de Saône-et-Loire |
4
pieds x 4 pieds
x 4 pieds |
2,194
stères |
Moule de Dijon |
3
pieds 6 pouces x 3 p 6 p x 3 p 6 p |
1,470
stère |
Moule de Beaune |
3
pieds 8pouces x 3 p 8 p x 3 p 8 p |
1,689
stère |
Capacité |
Equivalence |
Système
métrique |
Capacité |
Equivalence |
Système
métrique |
Emine d'avoine |
16
mesures ou quarteraudes |
522,448
litres |
Boisseau de
Semur |
|
18,020
l |
Emine de blé |
16
mesures ou quarteraudes |
486,224
l |
Boisseau de
Saulieu |
|
14,774
l |
Queue |
2
muids |
452,360
l |
Boisseau
de Liernais |
|
10,63
l |
Tonneau ou Muid
ou Poinçon |
111
pintes |
274,176
l |
Mesure de St
Louis |
|
20,449
l |
Muid |
2
feuillettes |
226,180
l |
Setier |
8
pintes |
12,920
l |
Setier |
4
minots |
219,64
l en été ; 226,10 l en hiver |
Pinte à huile
de Dijon |
|
1,979
l |
Minot |
34
pintes en été ; 35 pintes en hiver |
54,910
l en été ; 56,525 l en hiver |
Pinte à vin
de Semur |
|
1,904
l |
Mesure d'avoine |
|
32,653
l |
Mesure à lait
de Dijon |
|
0,404
l |
Mesure de blé |
|
30,389
l |
Van
de charbon de bois de Semur |
12
pieds cubes |
4,11327
hl |
Poids
(1) |
Equivalence |
Système
métrique |
Poids
(1) |
Equivalence |
Système
métrique |
Quintal |
100
livres |
48,950585
kg |
Treizeau
ou gros |
3
deniers |
3,825
gr |
Livre
de Bourgogne |
16
onces |
489,506
gr |
Denier |
24
grains |
1,275
gr |
Once |
8
treizeaux |
30,594
milligr |
Grain |
|
53
mgr |
(1)
Les mesures de poids ont été unifiées
pour tout le Duché de Bourgogne par une ordonnance
de Philippe le Hardi en 1388 à Montbard. |
Source : Claude
Courtépée ; Description générale et
particulière du Duché de Bourgogne ; 1774 & 1777
Lors de la préparation
des Etats Généraux de 1789, l’unification des poids
et des mesures est très largement réclamée
par les trois états dans les cahiers de doléances
de 1789. La multiplication des droits de mesurage et l’infinité
de valeurs des mesures, qui changent dans le temps et dans l’espace,
les fraudes constantes, l’éloignement de l’idée de
justice dans la répartition des biens entre les membres des
communautés y sont exprimés. Les systèmes de
mesure sont entrés, par la multiplication des droits seigneuriaux
et des ecclésiastiques, des villes et des communes, dans
la « démesure », la notion primordiale de la
justice dans les échanges a disparu et la justesse des mesures
n’est plus assurée.
Les revendications
sont de plusieurs ordres et pour les plus importantes elles dénoncent
les abus de pouvoir et proposent des solutions permettant une
meilleure justice dans les échanges du commerce et pour le
paiement des taxes et impôts multiples et variés.
Les
revendications anti-seigneuriales
«
la mesure des nobles augmente tous les ans.» - Cdd.
Quimber (Mellac)
«Chaque
seigneur pour l’ordinaire de ce pays a son boisseau différent
» Cdd. Angers (Le-May) II, pp. 667/668.
«Les
seigneurs , les ecclésiastiques fieffés, peuvent-ils
avoir des mesures de grains aussi variées qu’ils possèdent
des fiefs, des mesures choisies à leur gré ? »
Cdd. Angers (Saint-Sulpice-sur-Moire), II,
«
Il y a presqu’autant de mesures locales pour les redevances seigneuriales,
que de fiefs particuliers. » Cdd. Quimber (Mellac),
«
L’ordre de la noblesse qui possède des biens à l’infini,
loin de nous soulager, ne cherche que les moyens de nous accabler
et de nous ruiner[...] On ne connaît point le poids ni la
mesure des boisseaux avec lesquels les messieurs seigneurs perçoivent
leurs rentes. Tel seigneur a un boisseau qui contient six mesures,
tel autre sept, tel autre huit.»Cdd. Angers (Saint-Michel-du-bois-de-Chanveaux)
, II, pp. 739/740
«
Les receveurs de Monsieur l’abbé de l’abbeis des Notre Dames
de Lisques ordre de Prémontré, a fait regrandir sa
mesure aux grains pour les censives pour l’année mil sept
cent quatre vingt huit. » Cdd.
Pas-de-Calais (Longueville) II, P 326.
«Il
sera sollicité une loi pour que les mesures dont se servent
les seigneurs pour la recette de leurs censives soient étalonnées
contradictoirement avec leurs vassaux, chaque année, au siège
royal établi dans le ressort de leurs seigneuries. »
Cdd. Pont-à-l'Lousson
Le
personnel des seigneurs est mis en cause
«
Le seigneur de Corny tire près de six cent hottes de vin
de cens. Ils n’étaient pas considérables autrefois,
mais ses agents ont eu le talent de convertir les setiers en chaudrons,
ce qui fait un pot de différence par setier . Ils ne peuvent
pas dire que ce n’est point une erreur volontaire puisqu’il est
hautement connu que la domination du setier en Lorraine n’est que
de quatre pots et que le chaudron est de cinq.»
Cdd. Pont-à-Lousson,
p. 73
«Que
les boisseaux des seigneurs soient tous mis au point déterminé
par étalon déposé au greffe de la capitale,
afin que les agents de ces mêmes seigneurs ne soient plus
dans le cas de vexer les malheureux tenanciers» Cdd
Saint André de Blanzac, pp. 292/293,
Les
litiges sur les marchés
«
C’est enfin dans les marchés que les grainetiers s’entendent
à verser les grains dans les mesures avec tant de légèreté
que même la contenance ne peut s’y trouver.»
Cdd. Angoulème, pp. 121/122
«
qu’il y a encore, dans plusieurs villes du Royaume, un droit considérable
qui se perçoit sur les grains dans les marchés, sous
le nom de minage ; il est dans certaines villes, de vingt-huitième,
dans d’autres même jusqu’au vingtième du boisseau,
ce qui fait un fardeau pesant pour les cultivateurs, seuls les nobles
et les ecclésiastiques en sont exempts. » Cdd.
Sézanne ( Charleville), p. 179
Les
conflits avec les meuniers
«Nous
demandons que tous les meuniers soyent tenus d’avoir chez eux une
balance et des poids, pour que chaque particulier puisse s’assurer
qu’il ne lui a pas été fait tord.» Cdd.
Autun (Rigny-sur-Arroux)
«
Il faudrait dans le royaume qu’un seul et une seule mesure, mais
que de difficultés se présentent pour y parvenir !
[...] l’âpreté des mesniers et la manière de
mesurer les grains sur les marchés méritent l’attention
la plus sérieuse. Il y a presque autant de mesures locales
pour les redevances seigneuriales que de fiefs particuliers. »
Cdd. Ville d’Angoulème, pp. 121/122
Les
taxes et les impôts
«
Que la taxe des deniers royaux, à la mesure de terre, étant
exorbitant selon la recette du collecteur, il plut au Roy de la
fixer à l’avenant de la mesure, pour que chacun sache pour
quelle quotitée il paye. » Cdd. Pas-de-Calais
( Annay), I, p.147
«
Que le mesurage de tous les territoires de la France soit fait à
la même chaîne telle que vingt pieds de roi pour verge.
» Cdd. Pas-de-Calais ((Havrincourt), I, p. 345
«qu’il
y ait une mesure générale déterminée
par Sa Majesté pour tous les terrains de son royaume sujets
aux impôts, à laquelle toutes les mesures locales actuellement
existantes soient comparées, pour que les impôts soient
répartis également. » Cdd. Rems (Romigny),
p. 857
L'unification
des mesures
«
Ils demandent que les seigneurs à qui est dû des rentes
en grains soient obligés de tenir au lieu principal du fief
des mesures marquées et jaugées à l’ancienne
et petite ou grande mesure, suivant que l’exigent les redevances.
» Cdd. Pas-de-Calais (Selles), II, P. 436
«
Qu’ils paient désormais leurs rentes à une seule et
unique mesure royale » Cdd. Quimber ( Beuzac-Cap-Caval)
«
Qu’il n’y eût plus qu’une mesure pour tout le Royaume, et
que les grains de différentes espèces se mesurassent
dans une même mesure, [...] que dans le lieu où la
mesure de grains, comme orge, avoine etc., continuerait d’être
plus forte que celle du blé, il y eût une mesure exprès,
sans qu’il fut permis dans les marchés publics de se servir
de la mesure du blé pour mesurer le menu grain autrement,
l’excèdent que doit avoir cette mesure sera rabattu ou plus
ou moins haut selon que le racleur souvent peu délicat, sera
intéressé à favoriser l’acheteur ou le vendeur.»
Cdd. Troyes (Chapvalonn), I, pp. 542/543
Un
seul Roi, une seule langue,
un
seul poids et une seule mesure
«Que
toutes les mesures des seigneurs soient réduites à
la mesure du roi, sans qu’aucun seigneur puisse de plus fortes ou
plus petites.» Cdd. Quimber (Grouzon), p. 226
«
Il y a une infinité de mesures différentes parmi les
seigneurs. L’on demande que toutes les mesures soient réduites
à celles du roi. » Cdd. Quimber (Briec)
Pour
que l’unité se fasse : « il faudrait que chaque province
fit le sacrifice d’une partie de ses us et coutumes anciennes à
l’avantage d’avoir un loi unique. » Cdd. Angers (Villeveque),
II, pp. 685/686
Extraits
de l'ouvrage de W.KULA. Les mesures et les hommes. Maison des sciences
des hommes, Paris, 1962, 302 p. |