Guillaume
de CLUGNY, baron de Conforgien :
Il est
probablement né au château de Conforgien, hameau
de St Martin de la Mer, vers 1540.
En Bourgogne,
à cette époque, le Parlement mène une
répression sanglante contre les huguenots.
Conforgien
fait ses premières armes sous les ordres de Coligny.
Il est blessé au siège de Poitiers en 1569.
Vingt
ans plus tard (1589), il fait parler de lui en participant
aux combats contre les Ligueurs avec Tavannes.
L'année
suivante (1590), les Genevois, menacés par
le duc de Savoie, lui offrent la place de commandant de leurs
troupes laissée vacante par le départ de Lurbigny,
blessé, et dont le prestige avait souffert de la perte
de La Cluse. Ils faisaient ainsi un bon choix, car Conforgien
était non seulement un "brave et intrépide
guerrier" (Spon), mais un habile capitaine "vir
bello expertus" (de Thou). De plus, Conforgien connaissait
déjà Genève où il s'était
réfugié après la Saint-Barthélémy
(24-29 août 1572).
Avant
d'accepter le commandement des troupes de la république,
Conforgien, qui avait sans doute entendu parler des griefs
que son prédécesseur avait contre la Seigneurie,
posa les conditions suivantes [] qui furent acceptées
par écrit :
- 150
écus par mois
- foin
et avoine pour ses chevaux, au nombre de six ou sept
- entretien
aux frais de la république d'une compagnie
de cavalerie de son nom
- permission
d'amener avec lui 15 ou 20 bons soldats
De
son côté, il renonça à toute
part dans le butin, mais il exigea que le Conseil s'engageât,
en outre, à lui obtenir l'agrément du
roi Henri IV.
|
La convention
signée, il partit pour Genève, et le soir même
de son arrivée, il s'embarqua pour tenter sur Evian
une attaque-surprise qui fut déjouée parce que
l'ennemi était prévenu !
Conforgien
fut tout de suite très populaire à Genève
et resta toute sa vie au premier rang des « grands amis
de Genève ».Un anonyme genevois se fit l'interprète
de ses compatriotes pour louer Conforgien :
l
Je chante du Baron Conforgien la louange
Qui le fera fleurir en maint pays estrange,
Ayant par sa vaillance acquis si haut renom
Que de l'ordre de France n'est indigne son nom.
II
Son cœur dévotieux et sa piété
surpasse
Son immense valeur, car un jour ne se passe
Que par prière ardente à Dieu son souverain
De cœur ne recommande ce qu'il luy met en main.

|
Quelques
jours plus tard, il répara l'échec d'Evian en
remportant près de Bonne une victoire signalée
sur le gouverneur du Chablais. Il eut un cheval tué
sous lui dans la mélée. Cet épisode est
connu dans l'histoire de Suisse sous le nom des "Vendanges
de Bonne".
Ce succès
genevois n'eut pas une grande importance stratégique,
puisque les sources savoyardes n'en ont point gardé
la trace, mais pour Genève ce fut l'aube de la gloire
et du courage après quelques mois des plus sombres.
La fortune des armes, sinon la fortune tout court, recommençait
à sourire. Aussi est-il resté l'un des exploits
les plus populaires de cette guerre.
Les 14 et 15 septembre 1590, on était allé sous
escorte militaire vendanger vers Jussy, et le 17 on s'apprêtait
à aller encore plus loin, entre Monthoux et Bonne,
vendanger les coteaux d'Arthaz. C'est ce jour-là que
le baron d'Hermance choisit pour préparer un traquenard.
Il laissa en effet les Genevois venir sans inquiétude
à une demi-lieue de Bonne. Ecoutons la chanson de Conforgien:
XIII
De quelques jours après le sieur baron Darmance
(1)
Voulust pour son plaisis entrer un peu en dance,
Ayant, sceu les nouvelles que Conforgien sortoit
Avec toutes ses forces, au retour l'attendoit.
XIIII
Le Baron Conforgien sur ce prinst bon courage,
Resolu de passer l'eau à gué ou à
nage,
Donnant ferme asseurance d'estre victorieux
Si tous vouloyent combattre d'un combat valeureux.
|
(1)
François-Melchior de Saint-Jeoire, baron
d'Hermance et seigneur de la Chapelle-Marin,
était commandant des Allinges et avait le titre
de Gouverneur militaire du fort de Sainte-Catherine et
des bailliages du Chablais, Ternier et Gaillard |
En effet,
Conforgien avait été averti par quelque paysan
de l'embuscade qui se préparait, et après la
vendange il disposa savamment ses, troupes (150 fantassins
et 130 cavaliers), envoyant quelques enfants perdus pour débusquer
l'ennemi. Le stratagème était éventé;
il fit alors attaquer la cavalerie de face et de côté
et défit les 5 cornettes de cavalerie et les 6 compagnies
d'infanterie du général-baron savoyard. Ces
hommes étaient venus au combat avec une folle confiance
: sans casques, et vêtus de riches casaques de velours,
comme s'ils allaient "à nopces". Il semble
que le Baron d'Hermance, qui attendait le renfort de troupes
espagnoles et milanaises, ne l'ait reçu qu'en fin de
journée, le combat terminé.
XV
Tous furent resolus et luy firent promesse
De le bien seconder et de grande hardiesse.
Lors de balles ramées un orage gresler
Et grandes mousquetades on oyait re[tirer.]
XVI
Nos gens pour tout cela ne prennent l'espouvante,
Ains le baron passé, l'ennemy s'espouvante;
L'adresse italienne au combat ne servist
Que d'honteuse retraite pour lachement fuir.
XVII
Qui fust bien estonné fust le baron d'Armance,
Qui peu auparavant avoit donné sentence
Que de ceux de Genève nul ne prist à pitié
Soldat portant les armes à cheval ou à
pié.
XVIII
Luy comme bien monté pour se sauver fait fendre
Et sans point s'arrêter laissa le sang espandre
D'environ cinq cens hommes de blessés que de
morts. |
Vérité
historique ou légende ? Le chiffre des morts de l'ennemi,
deux cent soixante-deux et même plus, comme le racontèrent
des cavaliers qui s'étaient rendus sur les lieux le
lendemain pour compter les cadavres parmi les ceps de vigne,
est sans doute exagéré. Laissons à ce
fait d'armes son allure légendaire, le retour des vendanges
de Bonne est une des images d'Epinal de l'histoire de Genève.
L 'hiver allait commencer comme celui de l'année précédente,
ponctué de petits succès, l'initiative appartenant
toujours aux Genevois. Peut-être quelqu'un de ces succès
serait-il décisif ? On taquinait particulièrement
le fort de Sainte-Catherine, clef de voûte du dispositif
de défense de la Savoie en même temps que son
point faible, car les soldats y étaient mal ravitaillés
et démoralisés.

Philippe
III d'Espagne, vers 1600 Ainsi
le 29 octobre 1590, Conforgien et ses hommes allèrent
escalader et pétarder Cruseilles. Cette équipée
était vraiment aventureuse, car Cruseilles, située
derrière le Salève, à quelque vingt-cinq
kilomètres de Genève, était un repaire
d'Espagnols; mais prendre Cruseilles eût été
couper les arrières de Sainte-Catherine. L'effet de
surprise échoua : lorsque les Genevois arrivèrent
devant les murailles, à deux heures du matin, le tocsin
des villages environnants avait réveillé la
garnison, qui s'était réfugiée sur une
plateforme, près du château. Néanmoins
la ville fut prise, brûlée et saccagée.
Avec une sorte de joie sauvage, on passa au fil de l'épée
quelques Espagnols barricadés dans une maison : on
pensait qu'ils avaient participé aux massacres du Pays
de Gex. Mais après quelques heures, Conforgien fit
sonner la retraite; on était trop loin de Genève
pour s'attarder longtemps en ces lieux, d'autant plus que
certains soldats commençaient à s'égailler
pour piller.
"On apporta force corselets et harquebuzes outre 15 ou
16 grandes capes à l'espagnole".Cette audace fit
parler d'elle jusqu'à Turin.
Le 12
novembre 1590, Conforgien va explorer Bonne, Boëge, où
il fait une razzia de plus de 300 têtes de bétail,
Thonon, d'où les argoulets genevois emportent sept
cloches, "afin d'empêcher ces sonneurs de tocsin
de tant donner d'alarmes"
Le 16
novembre 1590, une expédition à Coudrée
n'eut aucun résultat.
Le 29
novembre 1590, Conforgien va du côté de Chaumont,
au hameau de Thiollaz, où l'on réunissait des
approvisionnements pour le fort de Sainte-Catherine, et ses
compagnies détruisent une grande quantité de
blé et de farine et mettent le feu au village. Mais
craignant l'arrivée des troupes d'Annecy, Conforgien
bat en retraite.
Le 10
décembre 1590, il est à Sainte-Catherine où
la garnison du fort refuse le combat. Pour se venger, les
troupes genevoises incendient le moulin voisin et les granges
du château de la Perrière.
Le 1er
janvier 1591, ce fut la prise du château de Boringe,
menée par Sancy. Mais le 17 janvier, n'ayant plus d'argent
pour payer leurs hommes, Lurbigny et Conforgien demandent
au Conseil de faire sortir leurs troupes la nuit suivante,
afin d'aller surprendre à nouveau Cruseilles et les
conduire "picorer".
Cependant
la fameuse expédition que depuis si longtemps le roi
de France [Henri IV] promettait de lancer contre la Savoie
se préparait enfin. Elle allait donner à cette
petite guerre une tout autre tournure.
L'arrivée
de Sancy lui ayant enlevé la direction des opérations
militaires, il continua à servir avec le même
dévouement la république, et prit part à
toutes les entreprises de ce général et de Guitry.
Ainsi
le 12 mars 1591, il participe victorieusement au combat de
Monthoux. Le duc de Savoie y perdit 300 hommes, dont une centaine
de gentilhommes.
Les Français
estimèrent alors qu'ils pouvaient quitter Genève
pour la Bourgogne, ce qu'ils firent vers la fin de mars. Sancy
et Guitry, embarrassés par ce départ qui ressemblait
à une dérobade, se justifièrent en rejetant
la responsabilité sur Lesdiguières qui était
parti pour la Provence et sur Maisse et ses Italiens. Evidemment,
nous l'avons vu, ces raisons étaient valables. Conforgien
partit avec eux, ainsi que quelques Genevois dont Sancy avait
dit « qu'ilz pourroient apprendre quelque chose pour
servir avec le temps à leur patrie ».
Ayant
accompagné Sancy en France, il fut remplacé
dans le commandement des troupes genevoises par le capitaine
Caron.
Il retourna
à Genève au mois d'octobre 1592 avec quelque
cavalerie, surprit La Bonneville, fit des courses jusqu'à
Annecy, s'empara du château d'Arsena, et battit trois
compagnies de cavalerie dans les faubourgs de La Roche (novembre
1592 et le 7 mars 1593)
Il paraît
qu'il ne sut pas maintenir parmi ses troupes une discipline
assez sévère, et il en résulta pour lui
et le Conseil des discussions qui le décidèrent
à demander son congé en avril 1593.
Ayant
besoin de traverser la Savoie pour rejoindre son Morvan natal,
Conforgien écrit alors au Baron d'Hermance, son ennemi
de la veille, la lettre suivante :
Monsieur
le baron d'Hermance, gouverneur du duché du Chablais
et fort de Sainte-Catherine pour Son Altesse.
Monsieur
j'avais prié Monsieur La Violette de vous suplier
pour me faire avoir un passeport de Son Altesse pour
men aller chez moy, lequel me dit que d'une grande volonté
de votre grâce, vous en avez prié Monsieur
Lambert lequel aussy a votre faveur a promis sy employer,
dont je vous remercie humblement à tous deux,
vous suppliant, croyez que su jay jamais le moyen de
vous faire service en votre particulier, vous me trouverez
tres dispose selon le commandement que vous me ferez,
Monsieur.
J'espere,
aydant Dieu, avant que je men aille vous baiser les
mains et vous reconfirmer le service que (je) vous ai
voue voulant à jamais demeurer
Monsieur
Votre
très humble et affectionne serviteur

A
Genève, ce XIII avril still ancien 1593
|
Oubliant
le passé, son château de Saint-Jeoire brûlé,
sa seigneurie de la Chapelle dévastée par les
Berno-Genevois, le souvenir cuisant des vendanges de Bonne,
et enfin sa captivité à Genève, le Baron
d'Hermance fit le nécessaire pour que Conforgien obtienne
le passeport sollicité.
Il partit
le 17 avril 1593 ; mais dès le mois de juillet il offrit
de retourner à son poste[], moyennant :
- 100
écus d'or par mois
- "avec
les grains, boys et avoyne qu'on lui bailloit ci-devant"
- et
15 écus d'or par mois pour l'entretien de trois
hommes montés et armés.
|
Le Conseil
ne jugea pas à propos d'accepter ses offres de service.
Conforgien
est de nouveau en Suisse fin 1600. La vicctoire de Monthoux
[décembre 1600] lui est attribuée.
En 1602,
(d'après J-F Baudiau) "il défendit vaillamment
la ville de Genève contre les troupes de Charles Emmanuel
de Savoie, qu’il défit. Aussi les Genevois, reconnaissants,
déposèrent son armure dans leur arsenal, comme un monument
perpétuel de sa valeur."
Le Conseil
de Genève le rappela de nouveau en avril 1603, pour
remplacer Monsieur de Villars à la tête des troupes.
Il prêta serment le 19 avril. Mais la paix était
proche. Elle fut signée le 21 juillet par le Traité
de St Julien.
Le château
de Conforgien - Reconstitution
virtuelle de l'aspect ancien du donjon
Conforgien
rentre chez lui et vit dans ses terres.
En 1605,
les églises de Bourgogne le choisissent comme leur
député à l'Assemblée politique
de Châtellerault, en lui donnant pour collègues
Armet et Du Noyer, sieur de Joncy.
En 1616,
le Conseil de Genève lui offre de nouveau le commandement
des troupes de la république. Mais il répondit
négativement à en invoquant son grand âge
et ses infirmités.
De son
mariage avec Charlotte de Saint-Belin, Guillaume de Clugny
eut une fille nommée Marie-Madelaine, qui épousa
Jean de Refuge.
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